Eva de Vitray-Meyerovitch,
un trésor de souvenirs

Par Esin Çelebi

Esin Celebi Bayru Esin Celebi Bayru est la vice-présidente de la Fondation internationale Mevlana. Elle est la petite fille de Mevlana, Jalaludin Rumi de la vingt-deuxième génération, descendante du Sultan Veled et d’Ulu Arif Celebi.

Eva était une scientifique profondément respectée par mon père. Elle venait dans notre maison chaque fois qu’elle passait par Istanbul. Je l’ai rencontrée en tête-à-tête et lui ai servi le thé et le café.

 Comme vous le savez, Eva est devenue musulmane et a pris le nom de Hawa. Dans son testament, elle a émis ce souhait : « Enterrez-moi dans l’ombre de Hz Mevlana ». J’ai entendu parlé de son vœu lorsque j’étais très jeune. Après son décès en France, ses anciens étudiants ont rappelé sa demande à ses fils. Ces derniers, dans la douleur encore vive de la perte récente de cet être cher, ne voulaient pas envoyer leur mère bien-aimée à Konya, en Turquie. Ils ne voulaient pas que sa tombe soit éloignée, et ils l’ont enterrée dans un lieu proche d’eux.

 Après sa mort, les étudiants d’Eva ont lancé une fondation afin de poursuivre son œuvre et transmettre son héritage. Ils vouaient leur temps à respecter sa volonté. Alors qu’ils travaillaient à la fondation, quelqu’un a apporté l’enregistrement d’un discours d’Eva durant une conférence. Évoquant sa mort, elle y exprimait sa volonté de vive voix : « Enterrez-moi à l’ombre de Hz. Mevlana ». Après avoir retrouvé cette cassette, les étudiants sont allés voir ses enfants et leur ont fait écouter l’enregistrement. Neuf ans s’étaient écoulés depuis la mort d’Eva et le temps avait atténué la douleur de ses fils. Ils ont alors accepté de déplacer sa sépulture. La loi française autorise à le faire uniquement dans les dix ans suivant la mort. Passé ce délai, le déplacement n’est plus permis. Avant l’expiration du délai de dix ans, les démarches administratives ont pu  être effectuées auprès des autorités turques et françaises.

 Dix ans après sa mort, la tombe d’Eva fut placée au cimetière d’Ucler à Konya (un cimetière établi en 1273, l’année de la mort de Mevlana, et contenant trois tombes de la famille Ucler), proche de la tombe de Hz. Mevlana. Une cérémonie a été organisée le 17 décembre, date anniversaire de la mort de Hz. Mevlana, connue sous le nom de « Seb-i Aruz ». Le gouverneur de Konya, le maire de la ville et plusieurs membres du congrès ont assisté à cette cérémonie.

 J’étais présente à cette cérémonie. Des personnes de différents pays y assistaient également. Ils étaient venus à Konya à l’occasion de « Seb-i Aruz », et lorsqu’ils ont eu connaissance de la cérémonie qui allait se dérouler pour Eva, ils ont eu à cœur d’y assister. Ils ont répondu à l’invitation spirituelle d’Eva.

 Regardant la cérémonie de loin, j’ai remarqué Ismail Hoca, un Hafiz turc (une personne ayant appris à réciter le Coran par cœur) qui habite à New-York. Il désirait réciter un passage coranique, mais il n’y a pas été autorisé afin de ne pas modifier le programme. Attristée par cela, je me suis tournée vers un vieil ami journaliste et lui ai demandé de transmettre ce message à Ismail Hoca : « Esin Celebi est ici. Veuillez rester à la fin de la cérémonie, quand tout le monde sera parti, et faisons une prière ensemble. » Après avoir entendu ce message, Ismail Hoca s’en est réjoui. Bien qu’aveugle, il s’est mis à regarder autour de lui comme s’il avait recouvré la vue.

 À la fin de la cérémonie officielle, tout le monde s’est dispersé. Un petit groupe est resté. Nous nous sommes resserrés autour de la tombe ; des gens de tous horizons : États-Unis, Espagne, France, et même une femme du Liban. J’ai alors demandé à Hafiz Ismail de réciter une belle sourate du Coran. Ensuite, dans le respect de la tradition Mevlevi, nous avons répété le nom de Dieu, “Allah”, devant la tombe.

 Le professeur Ibrahim Feracace, qui venait des États-Unis et qui se tenait à mes côtés, a demandé : “Avec votre permission, j’aimerais lire une prière en anglais”. Il a lu une prière en anglais. Ensuite, une femme espagnole qui se tenait à côté de lui a chanté un hymne en espagnol. Puis, un Français a dit, “J’aimerais lire quelque chose en français”. Et ainsi de suite, plusieurs prières ont été dites devant la tombe d’Eva. À la fin, j’ai lu une prière Mevlevie. Cette cérémonie spontanée venait tout droit du cœur.

 On peut retenir une belle leçon de cette histoire. Je la cite en exemple à maintes personnes. Même après le « passage vers la Vérité » (c’est-à-dire, après la mort), on peut continuer à recevoir des cadeaux. Eva a passé toute sa vie à servir, et son souhait s’est réalisé dix ans après sa mort.

 Esin Celebi

 Istanbul, Turquie

 Un souvenir de Esin Celebi publié dans: “Le Chemin d’une femme vers le cœur de l’Islam : entretiens par Rachel et Jean-Pierre Cartier avec Eva Vitray-Meyerovitch (Série : The Fons Vitae Rumi).