Poème d’Ibn ‘Arabî

La religion de l’Amour

Source :  L’Interprète des désirs , traduit et présenté par Maurice Gloton, Albin Michel. p. 102.

Commentaires du poème par Maurice Gloton

La religion que je professe
Est celle de l’Amour.
Partout où ses montures se tournent
L’amour est ma religion et ma foi !

La religion que je professe est celle de l’Amour, en référence à cette parole divine : « Si vous aimez Dieu, conformez-vous à moi [il s’agit du Prophète, selon l’interprétation habituelle], Dieu vous aimera » (Coran 3/29). Pour cette raison, elle est appelée religion de l’amour (dîn al-ḥubb). Il la pratique afin d’accueillir les obligations que son bien-aimé lui impose, et cela avec acceptation et satisfaction, avec amour et disparition de la peine et de la fatigue qui accompagnent ces obligations sous un aspect ou sous un autre. En conséquence, il est précisé dans ce vers : Partout où les montures se tournent, ou encore quels que soient les chemins qu’elles empruntent, approuvés ou non, elles en sont satisfaites, selon nous.

L’amour est ma religion (dîn) et ma foi (îmân), car il n’y a pas de religion plus élevée que celle fondée sur l’amour et le désir pour Celui envers Qui je la professe et Qui l’ordonne mystérieusement. Telle est la caractéristique des spirituels de type muḥammadien. Car Muḥammad – sur lui la Grâce et la Paix de Dieu – a sur les autres prophètes le privilège de la station de l’amour parfait ; et bien qu’il soit aussi élu, confident, ami intime et d’autres qualifications parmi celles qui sont reconnues aux prophètes, Dieu lui accorda une faveur supplémentaire, celle de l’avoir pris comme amoureux (ḥabîb), c’est-à-dire amant (muḥibb) et aimé (maḥbûb). Or, j’ai hérité de sa voie.

Source : L’Interprète des désirs traduit et présenté par Maurice Gloton, Albin Michel. p. 102.

Vous retrouverez ci-dessous le poème chanté par l’Ensemble Ibn Arabi, puis du texte du poème en arabe et de sa traduction française par Maurice Gloton.

Traduction du poème en français : 
« La religion de l’Amour » par Maurice Gloton

***
Ô colombes des bois de arak et de bân !
Témoignez de mansuétude !
Ne venez pas, par vos lamentations,
Accroître mon chagrin !
***
Faites preuve de compassion,
Et ne montrez point, par plaintes et pleurs,
Le secret de mon fervent amour
Et l’objet caché de ma tristesse.
***
Avec elle je converse
Au crépuscule et à l’aube,
Rempli d’un désir de tendresse
Et d’un amour éploré.
***
Les esprits se font face
Dans les bois de tamaris.
L’inclination de leurs branches sur moi
A provoqué ma disparition.
***
Avec cruels désirs et intense passion,
Avec des épreuves nouvelles,
Ils viennent jusqu’à moi
En prenant de multiples formes.
***
Qui sera à moi à Jam‘
À al-Muḥaççab près de Minâ ?
Qui sera à moi à Dhât al-Athl ?
Qui aussi à Na‘mân ?
***
Autour de mon cœur, ils tournent,
Heure après heure,
Pour l’extase et l’affliction,
Et pour baiser mes pierres angulaires ;
***
Comme le meilleur des Messagers
Le fit avec la Ka‘ba,
Elle, au sujet de laquelle
La raison se montre déficiente.
***
Il en embrassa des pierres inertes
Tout en restant doué de discernement.
Quelle est donc la valeur du Temple
Par rapport au degré de l’Homme ?
***
Combien de vœux et de serments
A-t-elle faits de ne pas changer.
Or, celle qui s’est teinte
À la promesse fut infidèle !
***
Quoi de plus surprenant
Qu’une gazelle voilée
Montrant un jujubier,
Et faisant signe de ses paupières !
***
Une gazelle dont le pâturage
Se trouve entre côtes et entrailles !
Ah quel prodige !
Un jardin au milieu de feux !
***
Mon cœur est devenu capable
D’accueillir toute forme.
Il est pâturage pour gazelles
Et abbaye pour moines !
***
Il est un temple pour idoles
Et la Ka‘ba pour qui en fait le tour,
Il est les Tables de la Thora
Et aussi les feuillets du Coran !
***
La religion que je professe
Est celle de l’Amour.
Partout où ses montures se tournent
L’amour est ma religion et ma foi !
***
Nous avons comme exemple Bishr,
Épris de Hind et de sa semblable,
Et Qays l’amoureux de Layla,
Et l’affection de Ghaylân pour Mayya.
***

Texte du poème en arabe : 
أدين بدين الحب » محيي الدين بن عربي »

***

ألا يا حَماماتِ الأراكَة ِ والبَانِ
ترَفّقْنَ لا تُضْعِفْنَ بالشجوِ أشجاني

***
ترَفّقْنَ لا تُظهرنَ بالنّوح والبُكا
خفيَّ صباباتي ومكنونَ أحزاني

***

أُطارحُها عند الأصيلِ وبالضحى 
بحنَّة ِ مشتاقٍ وأنَّة ِ هيمانِ

***

تَنَاوَحَتِ الأرواحُ في غَيضَة ِ الغَضا
فمالتْ بأفنانٍ عليَّ فأفناني

***

وجاءتْ منَ الشَّوقِ المبرَّحِ والجوى
ومن طُرَفِ البَلْوَى إليّ بأفْنانِ

***

فمَن لي بجمعٍ والمحصَّب مِن مِنًى
ومَنْ لي بِذاتِ الأثْلِ مَنْ لِي بنَعْمان

***

تطوفُ بقلبي ساعة ً بعدَ ساعة
لوَجدٍ وتبريحٍ وتَلثُمُ أركاني

***

كما طاف خيرُ الرُّسلِ بالكعبة ِ التي
يقولُ دليلُ العقْلِ فيها بنُقصَانِ

***

وقبّلَ أحجاراً بها، وهو ناطقٌ
وأينَ مَقامُ البيتِ من قدرِ إنسانِ

***

فكَم عَهِدَتْ أن لا تحولَ وأقسمتْ
وليس لمخضوبٍ وفاءٌ بأيمانِ

***

ومنْ أعجبِ الأشياءِ ظبى ُ مبرقعُ
يشيرُ بعنَّابٍ ويومي بأجفانِ

***

ومَرعاهُ ما بينَ التّرائِبِ والحَشَا
ويا عَجَباً من روضة ٍ وَسَطَ نيرانِ

***

لقدْ صارَ قلبي قابلاً كلَّ صورة
فمَرْعًى لغِزْلاَنٍ وديرٌ لرُهْبانِ

***

وبَيْتٌ لأوثانٍ وكعبة ُ طائفٍ
وألواحُ توراة ٍ ومصحفُ قرآنِ

***

أدينُ بدينِ الحبِّ أنَّى توجَّهتْ
رَكائِبُهُ فالحُبُّ ديني وإيماني

***

لنا أُسْوَة ٌ في بِشْرِ هندٍ وأُخْتِهَا
وقيسٍ وليلى ، ثمَّ مي وغيلانِ

***

Extrait de « Turjumân al-Ashwâq »- L’Interprète des désirs , traduit et présenté par Maurice Gloton Vous pouvez retrouver cet ouvrage sur le site Albin Michel ici.