Poème du  cheikh Ahmad al-‘Alâwî

La Lâmiyya – Sublime Présence

Source :  Ahmad Al-Alawi, De la révélation – Suivi de Sublime présence, Traduction M. Chabry, J.J. Gonzalez, Entrelacs, p. 100-103.

Sublime Présence

Traduire un poème est un exercice difficile car le génie propre et l’éloquence d’une langue ne sont par définition pas transposables dans une autre, d’autant plus quand le sujet traité est des plus subtils et ne peut, selon le soufisme lui-même, être pleinement assimilé qu’au travers d’une expérience personnelle.

Si nous avons finalement essayé de faire rimer en français les vers de cette traduction, notre objectif essentiel était de retranscrire, le plus fidèlement possible dans la limite de nos moyens et de notre propre compréhension, l’enseignement que véhicule ce poème et ses allusions, dont beaucoup s’éclaireront grâce à l’ouvrage précédent et à d’autres écrits plus « didactiques » du cheikh auxquels nous renverrons parfois en note le lecteur.

Il nous a paru utile de fournir un plan qui fera office d’index et de résumé introductif, tout en mettant en évidence la structure de ce poème, qui est un abrégé de la doctrine et de la voie soufies.

Une dernière précision : en parlant de lui, le cheikh utilise tout au long du poème alternativement les premières personnes du singulier et du pluriel, « circulant » par ailleurs assez librement entre ce « je » ou ce « nous » et le « nous » qui désigne collectivement les soufis ou, parmi eux, les connaissants. Ce procédé volontairement ambigu est d’usage courant chez les auteurs du soufisme. Il peut être parfois une question de convenances traditionnelles (adab), mais sert également à exprimer de façon subtile l’évanouissement imperceptible des contours de l’être lié à certains états impersonnels.

Plan du poème

1-15 : Le cheikh se présente aux disciples comme l’héritier de son maître ; il leur rappelle que Dieu fait toujours apparaître, parmi les soufis, des maîtres chargés de guider ceux qui Le cherchent ; ainsi, celui qui n’a pas encore atteint l’union peut reprendre son chemin sous sa direction.

16-34 : Description des qualités du maître : choisi par Dieu et autorisé par le Prophète à conduire à la Présence divine, possesseur d’une science ésotérique révélée directement par Dieu et témoin privilégié de Son Unicité ; allusions des vers 29 à 34 à certains hadîths qui confirment l’importance de cette fonction.

35-45 : Description des états et des qualités spirituelles de ceux qui réalisent l’Identité suprême, grâce à quoi ils deviennent une manifestation de la grâce divine et peuvent transmettre le message divin, percevant la réalité spirituelle en toute chose.

46-61 : Éloge de ceux qui ont eu la faveur d’être choisis comme médiateurs entre Dieu et Ses créatures.

62-92 : Dénonciation des prétentions et des carences spirituelles des faux maîtres, afin que tout chercheur sincère sache les reconnaître.

93-106 : Description des qualités nécessaires au véritable aspirant (murid) à la connaissance divine.

107-110 : Contempler la réalité divine, unique et absolue, est l’objectif de celui qui Le cherche.

111-128 : La rencontre avec le maître authentique ; les moyens et méthodes grâce auxquels ce dernier facilite le cheminement spirituel de ses disciples ; les résultats extraordinaires et manifestes obtenus en les appliquant.

129-132 : Le disciple doit profiter de ce moment et ne pas laisser passer l’occasion qui se présente à lui.

133-149 : Le vin de l’Unicité divine et le type d’ébriété qu’il provoque chez celui qui en consomme.

150-169 : Ce vin a débordé de la coupe qui le contient -et enivré toute l’existence, qui se « meut » sous l’effet de l’attraction et de l’amour résultant de cette ivresse, mouvement qui conduit aux différents états, des plus élevés aux plus bas, dans lesquels les êtres Le perçoivent.

170-190 : L’Unité s’exprime par l’Unicité divine, qui se reflète dans chacune des possibilités de manifestation et exclut de ce fait l’existence même de l’altérité ; Son Essence unique sé manifeste dans la multiplicité sans que cela ne L’affecte en rien ; rien ne peut La limiter ou la conditionner.

191-197 : Nécessité de respecter les formes imposées par la Loi révélée, expression de la Sagesse divine, et de ne pas dévoiler le secret de la Vérité ; nécessité de respecter le pacte relatif au « dépôt » reçu et transmis par le Prophète.

198-205 : Panégyrique du prophète Muhammad, manifestation parfaite de la Vérité.

206-215 : Bénédictions et invocations.

Source : Ahmad Al-Alawi, De la révélation – Suivi de Sublime présence, Traduction M. Chabry, J.J. Gonzalez, Entrelacs, p. 100-103.

Vous retrouverez ci-dessous le poème chanté, suivi des premiers vers du poème en arabe et de sa traduction française par M. Chabry et J.J. Gonzalez.

Refrain du premier chant

Lâ ilâha illâ Allâh
Lâ ilâha illâ Allâh
Lâ ilâha illâ Allâh
Allâh Allâh yâ Mawlânâ

Pas de divinité si ce n’est Dieu
Pas de divinité si ce n’est Dieu
Pas de divinité si ce n’est Dieu
Allâh, Allâh est mon Maître

 لا إله إلّا الله
لا إله إلّا الله
لا إله إلّا الله 
الحبيب رسول الله

Traduction du poème en français:
« Sublime Présence » par M. Chabry et J.J. Gonzalez 

***
Ô vous qui désirez ardemment la Présence sublime,
Renouvelez votre pacte avec nous et cherchez-en nous l’union
***
C’est le moment de se ressaisir, en vue de la plus illustre station,
Que Dieu soit louangé, Lui qui nous en a rendus dignes !
***
Avant même notre existence, le héraut de Dieu nous a convoqués,
Et lorsque nous existâmes, nous l’entendîmes nous appeler ;
***
Après la séparation, le cri langoureux de la colombe de l’union a retenti,
Et nous nous sommes trouvés réunis : par Dieu, point de force si ce n’est par Lui !
***
Nous sommes les rois de la Terre, du point de vue de Sa proximité,
Pour Son amour, nous faisons don de nous-mêmes et de nos familles ;
***
Nous sommes dans la lumière du soleil, quand d’autres vivent dans l’obscurité ;
Notre vue est perçante quand il s’agit de Sa théophanie.
***
Nous disposons d’une lumière sur lumière, s’agissant de la Vérité ;
Dieu guide vers la lumière du saint celui qui est qualifié.
***
Que cela ne t’étonne pas car il a toujours existé
Des guides vers la réalisation, dans les communautés qui nous ont précédés.
***
Ils ont reçu l’héritage du Peuple, mais leurs paroles n’étaient pas écoutées,
Et depuis, les gens vivent dans l’insouciance et le temps a passé.
***
Mais lorsque meurt le Maître, un autre semblable vient le remplacer,
C’est une coutume pérenne de Dieu, et rien ne saurait la modifier
***
Si, de son vivant, l’union tu as manqué,
Tu peux encore te rattraper après la succession,
***
Alors prends ton courage à deux mains et suis ses instructions ;
Acquiers par lui à bon prix des sciences qui valent très cher en réalité.
***

Texte du poème en arabe : 
أيا أيُّها العشّاق » للشيخ احمد مصطفى العلاوي »

***
أيا أيُّها العشّاق للمَحضَرِ الأعلى
عيدونا بوَصْلِكُمْ وَ رُومُو ا فِينَا وَصْلاَ

***
فهذا وَقْتُ النهوض للمقام الأسنى

فلِلهِ الحمدُ حيثُ كنا له أهلا

***
دعانا داعيُّ اللَهِ قبلَ وجودِنا
ولما كان الوجود سمعنا لهُ قولا

***
فَحَنَّ حمامُ الوصلِ من بعدِ فصلهِ

فصِرنا على جمعٍ تاللَهِ ولا حولا

***


فنحنُ ملوكُ الأرضِ من حيث قربُهُ
بذَلنا نفوساً في حبَّهِ ثمَّ الأهلا

***
فكُنّا في ضوء الشمس والغيرُ في الدجى

لنا بصَرٌ حديدٌ حيثُما تجلّى

***
ولنا من نور الحقِّ نورٌ على نورٍ
يهدي اللَهُ لنورِ الولي من كان أهلا

***
ولا تعجَبِ من هذا وقد كان قبلَنا
هداةٌ على التحقيق في الأمم الأولى


***
تُرِكُوا مَا بَيْنَ القَوْمِ لم يُسْمَع قَولُهُمْ
وقد مرَّت الأيامُ والناسُ في غفلا

***


وبعد وفاةِ الشيخ يظهر كمثلهِ
فهذي سُنَّةُ اللَهِ جرت فلا بدلا

***
فإن فاتكَ الوصولُ عندَ حياتهِ

فالفَوتُ فذاك الفوتُ صح بعد النقلا

***
فشمِّر عن ساق الجد وانهض لأمرهِ
وخُذ عنهُ علوماً رخيصة وقد تغلا

 ***

Ahmad Al-Alawi, De la révélation – Suivi de Sublime présence, Traduction M. Chabry, J.J. Gonzalez, Entrelacs.

Pour une étude du Dîwân du cheikh Ahmad al-‘Alâwî, voir E. Geoffroy, Un éblouissement sans fin – La poésie dans le soufisme, Paris, Seuil, 2014. Édité avec QR code pour écouter les chants soufis: https://soundcloud.com/editions-du-seuil/sets/egeoffroy.
Pour une traduction du Dîwân voir M. Chabry dans : Cheikh al-‘Alawî – Dîwân, La Caravane, 2017.

Vous pouvez retrouver le Dîwân du cheikh Ahmad al-‘Alâwî en arabe sur ce lien ici, la Lâmiyya est page 2.