Poèmes mystiques
Fulgurante figure de la mystique en Islam, Hussein Mansour al-Hallâj appartient à cette rare pléiade de poètes pour qui la poésie fait un avec la pensée. Cela ne saurait se produire que si la poésie est sublime et la pensée profonde. Cependant, puisque Hallâj est avant tout un mystique, un des plus grands de tous les temps, l’unité de la pensée et de la poésie chez lui trouve sa justification dans une expérience de la totalité qui sert à exprimer une relation unique à l’Unique. Expérience non mutilée, non mutilante, où l’âme coexiste avec le corps, la raison avec ce qui la nie, la finitude de la mort avec l’horizon de la résurrection, et où le cœur et l’imagination, portés par cette force transfiguratrice qu’est l’amour, deviennent des moyens de connaissance, des sens véritables. La poésie est inséparable de la vie, une vie tout entière tournée vers l’Unique, Lequel unifie mais dans le déchirement, fait accéder au vrai mais dans la contradiction, permet de Le retrouver et de se retrouver mais dans le dépassement de tout. La poésie, chez Hallâj, est la forme suprême que, provisoirement, juste avant le silence ultime, la pensée prend quand elle doit se dépasser dans l’indépassable.
Source : Poèmes mystiques , traduits et présentés par Mahmoud Sami-Ali, Actes Sud. p. 11.
Vous retrouverez ci-dessous le poème chanté par plusieurs interprètes, puis du texte du poème en arabe et de sa traduction française.
Traduction par Louis Massignon des quatre premiers vers du poème
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Je vis mon Seigneur, avec l’œil de mon cœur,
Et Lui dis : Qui es-Tu ? Il me dit : Toi !
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Mais, pour Toi, le “où” ne sait trouver un lieu,
Il n’y a pas de “où” repérable, du moment qu’il s’agit de Toi !
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Et il n’y a pas d’image venant de Toi, dans la durée,
Qui permette d’apprendre où Tu es !
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Puisque Tu es Celui qui embrasse tout lieu,
Et passe au-delà de tout lieu, où donc es-Tu, Toi ?
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Poème de Hussein Mansour al-Hallâj
رَأَيتُ رَبّي بِعَنينِ قَلبي » الحسين بن منصور الحلاج »
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رَأَيْتُ رَبّي بِعَيْنِ قَلْبي
فَقُلْتُ مَنْ أَنْتَ قال أَنْتَ
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فَلَيسَ لِلأَينِ مِنكَ أَينٌ
وَلَيسَ أَينٌ بِحَيثُ أَنتَ
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وَلَيسَ لَلوَهمِ مِنكَ وَهمٌ
فَيَعلَمُ الوَهمُ أَينَ أَنتَ
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أَنتَ الَّذي حُزتَ كُلَّ أَينٍ
بِنَحوِ لا أَينٍ فَأَينَ أَنتَ
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فَفي فَنائي فَنا فَنائي
وَفي فَنائي وُجِدتَ أَنتَ
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في مَحو اِسمي وَرَسمِ جِسمي
سَأَلتُ عَني فَقُلتُ أَنتَ
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أَشمارُ سِرّي إِلَيكَ حَتّى
فَنَيتُ عَنّي وَدُمتَ أَنتَ
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أَنتَ حَياتي وَسِرُّ قَلبي
فَحَيثُما كُنتُ كُنتَ أَنتَ
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أَحَطتَ عِلماً بِكُلِّ شَيءٍ
فَكُلُّ شَيءٍ أَراهُ أَنتَ
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فَمُنَّ بِالعَفوِ يا إِلَهي
فَلَيسَ أَرجو سِواكَ أَنتَ
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Louis Massignon, La Passion de Husayn ibn Mansûr Hallâj. Tome III, éd. Gallimard, coll. Bibliothèque des idées, Paris, p. 300-344.