Poème du  cheikh Ahmad al-‘Alâwî

Udhkur Allâh yâ rafîqî

Source :  E. Geoffroy, Un éblouissement sans fin – La poésie dans le soufisme, Paris, Seuil, 2014., p. 297-299.

Le troisième voyage : le retour vers les hommes

À certains de ces êtres qui demeurent en Dieu, il est demandé de se dessaisir de leur prime liberté pour « redescendre ». À l’instar de Muhammad, qui était principiellement un « saint », un « proche de Dieu » (walî), avant d’être un prophète missionné, ils doivent revenir vers les « hommes » (al-rujû‘) pour répandre la miséricorde. Tel est également le rôle des Bodhisattva dans le bouddhisme. Cette « réalisation descendante » serait l’étape finale de la Voie. À en croire les témoignages qui nous sont parvenus, l’expérience est douloureuse, en particulier pour ceux auxquels est assignée une charge de direction spirituelle – c’est le cas de nos cheikhs.

Une tension antagonique se manifeste donc chez ces saints, entre un « retour » vers la patrie spirituelle et un « retour » vers les hommes, qui signe l’acceptation de leur mission terrestre. Ce passage du poème « Invoque Dieu, ô compagnon » en est la meilleure illustration :

Notre liqueur est un très vieux vin
Cacheté avant Adam !
Elle nous a enivré, ô mon ami
Depuis un temps d’avant les temps !
Elle nous a fait tomber d’un sommet sublime,
De l’Être pur vers le néant.
Puis nous sommes retourné vers le Compagnon d’en haut
Par-delà le Trône et le Calame !
Nous nous sommes tenu à l’horizon suprême
Et nous sommes revêtu du monde,
Nous nous sommes caché sous les traits de la créature
Afin de ne pas être vu des humains !

Source :  E. Geoffroy, Un éblouissement sans fin – La poésie dans le soufisme, Paris, Seuil, 2014., p. 297-299.

Vous retrouverez ci-dessous le poème chanté selon plusieurs mélodies, suivi du texte du poème en arabe et de sa traduction en français par Derwîsh al-Ala.

âTraduction du poème en français  :
« Invoque le Nom de Dieu mon compagnon » par cheikh al-‘Alawî

***
Invoque le Nom de Dieu mon compagnon
Et oriente-toi vers le sujet de ton désir
Dirige-toi vers le Vrai et Réel
Les créatures sont en réalité néant
***
Il n’y a certainement pas d’autre hormis Lui
Sa majesté s’est illustrée dans les temps antiques
S’est manifesté par la séparation
Hélas les humains restent insouciants
***
Ne dévie jamais de la voie
Fais preuve de sérieux pour la suprême station
Et reste fidèle au solide pacte
On t’abreuvera de la coupe du vin
***
Notre boisson est antique
Existait même avant Adam
Mon ami, nous étions déjà ivres
Depuis les premiers temps
***
Nous avons été projeté d’en haut
De l’existence au néant
Puis nous sommes revenus vers Le Compagnon
Au dessus du trône et la plume
***
Nous nous sommes redressés en altitude
Nous nous sommes vêtus de la robe des mondes
Nous nous sommes cachés par l’apparence de la création
Afin que les humains ne nous voient pas
***
J’observe mon désir ardent pour les lueurs
Pour les pluies lumineuses, j’en suis nostalgique
Mon rameau clame le bien être de son origine
Les fleurs exhalent leur parfum dans les collines
***
Il est venu le temps pour le levant
La pleine lune est désormais complète
Ma voie, par rapport à ses semblables
Est tel le soleil au dessus du monde
***
Combien avons nous gagné d’êtres épris
Combien avons nous facilité (la voie) aux vaillants
Combien avons nous élevé des esclaves
Au rang honorable des contemplateurs
***
Combien avons nous pressé de vin pur
Combien avons nous abreuvé de maîtres (spirituels)
Combien avons nous guidé de groupes
À la Sainte Présence du Salut
***
Notre océan est si profond
Le nageur ne peut s’en mesurer
Ne t’oppose pas avec volubilité
Ne conteste pas par des conjectures
***
Nous sommes venus avec un savoir subtil
Qui dépasse les paroles, insaisissable
Sauf pour les gens qui y croient
Et leur eut été révélé par inspiration
***
Après la prière crépusculaire (sur le prophète)
En nombre du flux débordant de générosité
Qui l’englobe dans sa noble tombe
Et sur ceux de la station (Maqâm Ibrâhîm)
Et sur ceux de la grande Mosquée (Haram, Ka’ba)
***
Que Dieu ait pitié du détenteur de l’alliance
Qui s’est réfugié auprès de Sa faveur
Al-‘Alâwî, que Dieu lui garanti la réussite

Il obtint la faveur et la générosité.

***

Texte du poème en arabe : 
أُذكر اللَه يا رفيقي » للشيخ احمد مصطفى العلاوي »

***
أُذكر اللَه يا رفيقي
وتوَجَّه للمَرام
واقصد الحقِّ الحقيقي
إنَّما الخلقُ عدَم
***
لا سواهُ في التحقيق
جلَّ قدراً في القدَم
قد ظهرَ بالتفريق
لكنَّ الناسَ نيام
***
لا تعدُ عن الطريق
جُد سيراً للمقام
واحفظِ العهد الوثيق
تُسقى من كأس المُدام
***
خمرُنا خمرٌ عتيق
كان من قبلِ آدم
أسكَرَنا يا صديقي
من زمانٍ تقدَّم
***
قد رمانا من شاهق
من وجودٍ للعدَم
ثم عدنا للرفيق
فوقَ عرشٍ والقلَم
***
واستوَينا بالأفق
وارتدَينا بالعالم
واختفينا بالخلق
كي لا ترانا الأنام
***
جاء شوقي بالبُروق
حنَّ رشفي للدِيَم
طابَ فرعي بالعُروق
فاحَ الزهرُ في الأكام
***
جاءَ الوقتُ للشُروق
فازَ البدرُ بالتمام
جاءَ نهجي للطُرُق
كشَمسٍ على علم
***
كم سَبينا من عاشِق
كم يَسِّرنا من همام
كم رفَعنا من رقيق
لم شاهدِ الكرام
***
كم عصَرنا من رحيق
كم سقينا من إمام
كم هدَينا من فريق
إلى محضرِ السلام
***
بحرُنا بحرُ عميق
لا يُقاسُ للعوّام
لا تُعارِض بالتشديق
لا تنازِع بالأوهام
***
جئنا بعلمٍ رقيق
لا يحتملهُ الكلام
إلّا لذوي التصديق
جاءَهُم وحيُ إلهام
***
بعدَ صلاةِ الشفيق
حسبَ فيّاضِ الكرم
تشملُ من بالعقيق
والمقامِ والحرَم
***
يرحمُ ربّي ذا الوُثوق
من بفضلهِ اعتصَم
العلاوي بالتوفيق
حازَ الفضلَ والكرَم
***

Pour une étude du Dîwân du cheikh Ahmad al-‘Alâwî, voir E. Geoffroy, Un éblouissement sans fin – La poésie dans le soufisme, Paris, Seuil, 2014. Édité avec QR code pour écouter les chants soufis: https://soundcloud.com/editions-du-seuil/sets/egeoffroy.

Pour une traduction du Dîwân voir M. Chabry dans : Cheikh al-‘Alawî – Dîwân, La Caravane, 2017.

Vous pouvez retrouver le Dîwân du cheikh Ahmad al-‘Alâwî en arabe sur ce lien ici, Udhkur Allâh yâ rafîqî est page 17.