Le temps de parler

Entretien avec Annick de Souzenelle par Suzanne Renardat

Suzanne : Pourquoi le temps est-il venu de parler aujourd’hui ?
Qu’y a t-il de si particulier à notre époque ?

 Annick de Souzenelle : Notre époque est saisie dans une mutation immense, extrêmement importante et c’est pour cela que le langage concernant l’évolution de l’humanité ne peut plus être le langage qui était voilé avant. Nous sommes à l’heure actuelle justement dans l’enlèvement d’un voile étant donné que l’on peut considérer que la vie est l’accomplissement dans l’intégration d’un potentiel d’énergie. Ce potentiel peut être
symbolisé aussi par ce qui est recouvert de voiles. D’ailleurs c’est un terme qui va être employé dans beaucoup de traditions et en particulier Ibn ‘Arabi va avoir tout un traité sur l’enlèvement des voiles, c’est extrêmement important. Et aujourd’hui c’est un voile énorme qui est en train de se soulever pour aller vers une autre conception du réel, une autre expérience du réel ; d’une expérience plus que conception du réel.
C’est pour ça que nous voyons toutes les valeurs qui sont en train de s’effondrer aujourd’hui parce que nous allons passer à d’autres valeurs. C’est une mutation de l’humanité qui est en train de se faire. Donc ceux qui ont fait cette mutation dans leur personne auparavant peuvent apporter une lumière qui peut réconforter les être pris dans ce collectif et qui sont affolés à l’heure actuelle de ce qui se passe.

Et j’ai eu la chance d’avoir compris ces choses depuis longtemps, si bien que je sens à quel point je dois dire ce qui ne pouvait pas être dit auparavant.

Et je cite toujours Maxime le Confesseur qui a un traité sur « le mal » extrêmement classique, très juste, très beau, très classique mais cependant très limité. C’est pourquoi la fin de son traité, il dit : « mais il y a des mystiques qui voit tout à fait autre chose. Pour l’instant nous gardons le silence. » Bon ! Ceci se passait au septième siècle et nous sommes au 21ème siècle et aujourd’hui, au 21ème siècle, pouvons plus avoir le discours du 7e siècle ! Ce n’est plus possible ! Donc c’est là où je crois que nous avons à lire les textes sacrés à un autre niveau de lecture ; nous avons à les déshabiller, à leur enlever les voiles, je reprends là des termes de mystiques juifs de toute beauté, justement, qui disent que la Torah, pour l’instant, est habillée avec des habits qui cachent son soleil parce que le peuple ne pourrait pas supporter ce soleil mais viendra un jour, disent-ils, où ce seront des temps messianiques justement, où le soleil devra briller de toute sa force et on enlèvera les habits de la Torah. Bon : enlever les habits, enlever les voiles, tout ça c’est exactement la même idée. Et là je le vis d’une façon très forte en moi puisque je me souviens de toute mon enfance, je sentais qu’il y avait un autre message dans les textes bibliques en particulier dans la Torah ! Je le sentais ce message et j’étais traité d’orgueilleuse et de folle quand je demandais des explications à ce sujet là.

Alors bon ! J’ai continué dans ma folie et dans ma désobéissance, j’ai continué de chercher à découvrir parce que je le vivais dans mon cœur, je le vivais en moi et, le vivant en moi, je le découvrais aussi dans les textes et les textes se renvoyaient à moi et je me renvoyais aux textes. Il y a eu une sorte de mariage, de communion entre les textes et moi et c’est pour ça que mes expériences, je me sens obligée de les dire aujourd’hui.

Dans le livre que j’ai écrit avec Pierre-Yves Albrecht, Pierre-Yves m’oblige de le dire parce que j’étais dans une pudeur pour cacher un petit peu les expériences profondes que j’ai eues.

Mais Annick, me disait-il, aujourd’hui il faut dire !

C’est pour ça que j’ai fini en effet par m’exprimer parce que je pense que l’expérience des êtres peut aider beaucoup à la vie des autres, il me semble. Regarde comme les êtres autrefois qui faisaient une NDE, qui faisaient une expérience proche de la mort et qui étaient incompris par tous ceux qui les entouraient, ils ont fait des refoulements pathologiques tragiques. C’est pour cela, quand on fait des expériences de cet ordre,
c’est très important d’exprimer la réalité dans laquelle on entre à ce moment là, un autre réel ! Aujourd’hui les physiciens le découvrent : quand Bernard D’Espagnat parle du réel voilé, il ne parle pas d’autre chose non plus que de cela et lorsque Basarab Nicolescu écrit ce livre « Qu’est-ce que la réalité ? » il pose la question
essentielle de ce que nous portons à l’intérieur de nous et de ce que porte le cosmos à l’intérieur de lui. Derrière toute chose il y a un monde immense, un potentiel d’énergies à réaliser et qui porte en lui l’information de sa réalisation justement ! Tu vois, c’est cette information dont je parlais tout à l’heure par rapport à la question que tu posais au sujet de l’œuvre de Darwin : toute chose a son information dans toute
cette évolution.

Suzanne : Et notre époque est très particulière…

Annick de Souzenelle : Mais bien sûr je peux le mettre en parallèle parce que tout ce potentiel qui est à l’intérieur de nous est aussi appelé le féminin de l’être. C’est cet autre côté d’Adam, qui n’a jamais été une côte, qui est ce féminin voilé c’est à dire tout ce potentiel à l’intérieur de lui, Adam étant l’humanité totale, encore vous et moi aujourd’hui ! Biensûr, ce n’est pas un premier homme qui a vécu il y a des milliers d’années ! Nous en sommes là !

Donc c’est ce féminin qui, lorsqu’il n’est plus épousé, est en deuil. Il devient, dans la bible, cette démone, Lilith, c’est le féminin en deuil.

Et je crois qu’on a confondu complètement ce féminin intérieur avec la femme à l’extérieur. On a voilé la femme et cette femme est voilée dans certaines civilisations d’une façon très formelle, dans la nôtre elle a été voilée d’une façon plus subtile, mais terriblement voilée !

Et quand elle est maintenue à la cuisine et ne pouvant pas participer à la vie collective, à la vie sociale, elle est voilée ; c’est évident !

Alors aujourd’hui il y a en effet une résurgence du monde féminin qui demande sa place exactement comme tout Adam, elle est un « Homme », qui fait partie de la race humaine comme les hommes et elle demande sa vraie place ! Et il faut que nous comprenions que ce féminin voilé est à l’intérieur de nous. Mais c’est certain que lorsque nous voyons ces femmes musulmanes qui arrivent dans leur burqa tout enveloppées de noir, elles sont des face à face qui nous disent que notre féminin intérieur n’est pas épousé, est voilé ! Il faut que l’on comprenne les événements qui se passent devant nous !

Voilà, on appelle cela le hasard, on appelle ça le pas de chance, on appelle ça tout ce que l’on veut ! On ne comprend pas que c’est un message divin qui vient nous mettre face à face à notre réalité intérieure et c’est très important de décrypter cette réalité intérieure. Or notre féminin intérieur est inépousé, voilé, enfermé dans des voiles noirs. On peut presque dire que notre époque est une époque de dévoilement. Alors on a compris ça comme le dévoilement et on voit les femmes se balader toutes nues dans les rues mais ce n’est pas ce dévoilement là dont il est question. On confond tout pour l’instant ; on est dans la confusion et ça va changer tout cela, ça va changer parce qu’on comprend ce qui nous est donné par l’intérieur comme quelque chose d’extérieur.

Suzanne : Ce qui me touche dans ton discours, c’est notre part de responsabilité !

Annick de Souzenelle : Nous sommes très responsables seulement je crois que la responsabilité, elle ne se vit
véritablement que lorsqu’on se verticalise parce que tant qu’on est l’homme animal, la plupart du temps ça sera toujours la faute du petit frère, tout sera toujours la faute de l’autre, tandis que lorsqu’on se verticalise, on épouse vraiment la chose qui a du poids ! Il y a tout ce jeu de mots dans le mot « responsabilité ». On retrouve ce même jeu de mots en hébreu d’ailleurs, c’est intéressant ! Il est extrêmement important de penser que toute vie est épousailles, noces. Noces avec les profondeurs de notre être !

Suzanne : Merci beaucoup Annick !

« Il est temps de dire »

Entretien filmé en juillet 2013 et initialement publié sur le site https://arigah.com/textes-a-decouvrir/