La hilye, une icône calligraphique

par Nuria Garcia Masip

Le terme hilye, qui vient de l’arabe et signifie « ornement », désigne à la fois une forme visuelle spécifique et un genre littéraire consacré à la description physique du prophète Muhammad ﷺ. Cette tradition provient de la discipline dite des shamâ’il (les qualités prophétiques innées et parfaites) qui se base sur les hadith-s évoquant l’apparence du Prophète, ainsi que ses qualités morales et ses vertus spirituelles. La première hilye-i şerife (c’est-à-dire « noble », le mot sharif en arabe qualifiant tout ce qui touche au Prophète) en forme de panneau calligraphique a été composée par le grand maître calligraphe Hafiz Osman (Istanbul 1642-1643) : il la destinait à être contemplée telle une icône calligraphique, dans sa totalité. 

Cette composition, devenue un genre classique, contient les éléments suivants :

  1. La tête / Baş makam: elle est représentée par la basmala, « Au nom de Dieu, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux » (bi-smi Llâhi al-Raḥmân al-Raḥîm).
  2. Le ventre / Göbek: il a la forme d’un cercle et contient la première partie d’un propos qui décrit le Prophète physiquement ; la description faite par ‘Alî ibn Abî Tâlib (propos rapporté par al-Tirmidhî) est la plus citée (mais cela peut varier en fonction du choix du calligraphe) :

« Il n’était ni grand au point de paraître allongé, ni petit au point de paraître rapetissé, mais de taille moyenne au regard de son  peuple. Ses cheveux n’étaient ni courts et  crêpus, ni raides, mais légèrement bouclés. Son visage n’était ni mince ni joufflu, mais d’un bel ovale ; sa peau était claire et délicatement teintée, et il avait de grands yeux d’un noir de jais, et de longs cils. Ses membres ainsi que la largeur de ses épaules étaient d’altière proportion. Il n’était pas poilu, à l’exception d’une fine ligne de duvet qui courait de sa poitrine à son nombril. Ses doigts étaient larges, ainsi que ses orteils. Quand il marchait, il allait de l’avant, on l’aurait cru sur une pente. Quand il prêtait attention à quelqu’un, il se tournait vers lui complètement. »

  1. Le Croissant / Hilal, en tant que symbole de la lumière prophétique (al-Nûr al-muhammadî).
  2. Un verset coranique / Ayet, souvent le verset 107 de la sourate « Les Prophètes » (al-Anbiyâ’) : « Et Nous ne t’avons envoyé que comme miséricorde pour les mondes » (Wa mâ arsalnâ-ka illâ rahmatan li-l-‘âlamîn).
  3. La Jupe/ Etek, matérialisée par un espace rectangulaire contenant la deuxième partie du propos de ‘Alî :

« Il portait entre ses épaules la marque du sceau de la prophétie, car il est le dernier des prophètes. Il avait le cœur le plus généreux, la parole la plus véridique, la nature la plus douce, et sa compagnie était la plus noble. Qui le voyait à l’improviste, sans le connaitre, éprouvait une forte révérence à son égard. Qui le fréquentait, ne pouvait que l’aimer. Qui le décrivait déclarait : « Je n’ai vu de semblable, ni avant lui ni après lui. »

La signature du calligraphe figure à la suite du hadith.

  1. Le nom des 4 Califes, aux quatre horizons du ventre : Abu Bakr, ‘Umar, ‘Uthmân et ‘Alî.

Les hilye-i şerifes existent sous différentes formes et peuvent présenter d’autres éléments calligraphiés, comme les 99 Noms de Dieu (al-Asmâ’ al-Husnâ), et une sélection de 99 noms du Prophète (parmi les 202 asmâ’ al-Nabî), des versets coraniques qui concernent le Prophète ou des versets de protection. En effet, la hilye est considérée comme ayant la qualité d’éloigner les influences maléfiques : pour cette raison, elle est l’un des genres calligraphiques le plus souvent exposé dans les habitations. Elle trouve son sens profond dans sa fonction contemplative : l’écriture, tirée du Coran et de la Tradition prophétique (Sunna) opère une véritable transfiguration de la personne du Prophète ﷺ. Dans la tradition ottomane, et selon le contexte, la hilye était parfois voilée. Lors des fêtes et des événements religieux du calendrier musulman, elle était « visitée » et,  à ces occasions, dévoilée. Elle a inspiré aux calligraphes d’innombrables œuvres à travers les siècles, et continue à le faire aujourd’hui.

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Nuria Garcia Masip est née en 1978 à Ibiza dans l’archipel des Baléares en Espagne. Après des études d’art, de philosophie et de littérature aux États-Unis – notamment avec Seyyed Hossein Nasr-, elle découvre la calligraphie à Fès en 1999. Commence alors une longue quête qui la conduira de maître en maître (Mohamed Zakariya, Hasan Çelebi et Davut Bektaş) entre Washington et Istanbul. Après des années d’étude intensive, elle obtient en 2007 son ijâza (licence d’enseignement) en calligraphie traditionnelle. Depuis, elle remporte régulièrement des prix internationaux et participe à de nombreuses expositions, stages et conférences à travers le monde.

Depuis quelques années, Nuria Garcia Masip intervient à Conscience Soufie en tant que conférencière ainsi que maître calligraphe lors de séminaires d’initiation.