Le modèle prophétique chez Hallâj

Par Pierre Lory

Source : Archives de sciences sociales des religions, 178 | 2017, 89-100.

Nous nous proposons ici de revenir sur un auteur mystique dont l’impact sur son époque et sur le mouvement soufi ultérieur fut considérable, à savoir Husayn ibn Mansûr al-Hallâj. Hallâj est connu pour avoir été l’objet d’un procès fort long, qui conduisit à son exécution spectaculaire à Baghdad en 309/922. Louis Massignon (m. 1962) a rédigé sur Hallâj une thèse monumentale, qui continue à représenter la référence principale sur la question ; il a consacré également une série d’articles et d’études sur Hallâj, après la publication de cette thèse. L’enquête était malaisée, car l’œuvre écrite de Hallâj avait été censurée rigoureusement après son procès et son exécution. Il ne nous en reste que quelques fragments épars. Certains d’entre eux concernent le statut spirituel du prophète de l’Islam ; notamment l’opuscule intitulé Livre des Tawâsîn. Louis Massignon, qui a traduit cet ouvrage, a bien entendu relevé ces passages, de même que Paul Nwyia puis Stéphane Ruspoli qui ont travaillé à leur tour sur ce même traité. Massignon y a signalé l’évocation de Muhammad comme premier créé, notant qu’elle contenait une sorte de préfiguration du concept de l’Insân Kâmil chez Ibn ‘Arabî. Il me semble toutefois fécond de visiter à nouveau ces fragments. À ma connaissance en effet, Massignon n’a pas lié cette conception sur Muhammad avec l’expérience d’union mystique, qui est le cœur même des écrits hallâjiens. La célèbre proclamation de Hallâj « je suis le Dieu-Réel » « anâ al-Haqq » trouve en effet son sens à travers l’identification du mystique à Muhammad. D’où les modestes considérations suggérées ici.

L’expérience du Réel absolu (Haqq)

Le Livre des Tâwasîn fut probablement écrit peu avant l’exécution de Hallâj, à un moment où il se savait condamné. Il y exprime sa pensée de façon sans doute assez libre, n’ayant plus rien à perdre, et tout à transmettre. Il s’agit cependant d’un texte composé de façon nettement ésotérique. Hallâj avait auparavant pu s’exprimer à l’occasion comme théologien, ou comme poète. Cependant, il a toujours souligné avec véhémence une vérité centrale : dès que l’on parle de Dieu en tant qu’Il est Lui – le Réel (al-Haqq), indépendamment même de tout ce qui est créé – plus aucun discours ne tient. Al-Haqq est l’Essence indéfinissable, échappant à toute expression, représentation, limite ; c’est un « trou noir » de l’esprit, de la parole, de la perception, une zone où le langage se perd en paradoxes. Ainsi Hallâj déclare : « Mais Lui – qu’Il soit exalté – nul au-dessus ne le couvre, nul au-dessous ne Le soulève, nulle limite ne l’affronte, nul auprès ne L’accule, nul en arrière ne Le tire, nul en avant ne L’arrête, nul auparavant ne Le rend présent, nul après n’en constitue le passé. Nul tout ne l’assemble, nul il fut ne Lui donne l’existence, nul il n’est plus ne Le prive de l’existence. Le décrire ne Lui suppose point d’attribut, aucune cause ne détermine ses actes. Son être est en dehors de la durée […] Tout ce que figure l’imagination est différent de ce qu’Il est […] Les yeux sont incapables de Le fixer et les pensées de L’affronter. Dire qu’Il est proche atteste ses grâces, dire qu’Il est loin atteste ses disgrâces. Son élévation n’atteste point une ascension, ni sa venue un déplacement ». L’Être divin est donc proprement « in-exprimable », ce qui ne signifie cependant pas incompréhensible. Mais le rôle du langage dans la gnose (ma‘rifa) est par contre vigoureusement interrogé.

Hallâj affirme clairement qu’il a fait l’expérience de ce « trou noir ». Dans le chapitre II des Tawâsîn, il souligne la gradation expériencielle qu’il a traversée entre la « science de la réalité » (‘ilm al-haqîqa), la « réalité métaphysique » (haqîqa) et enfin le « Réel absolu » (Haqq). Il expose cette gradation selon la célèbre parabole du papillon. Certains papillons nocturnes sont attirés par la lumière de la lampe et s’en rapprochent, mais craignent la forte chaleur. D’autres papillons pénètrent dans la zone de cette chaleur, mais ne s’avancent pas plus de crainte d’être brûlés par la flamme. D’autres encore, fascinés et audacieux, pénètrent dans la flamme pour y être consumés. On y retrouve la distinction tripartite déjà classique dans le soufisme à cette époque entre les soufis novices, attirés par l’idée de se rapprocher de Dieu (murîdûn) ; les soufis que la présence du divin commence à envahir (arbâb al-ahwâl) ; et les mystiques accomplis, qui sont passés par l’anéantissement en Dieu (fanâ’) et ont connu l’expérience de l’union. Hallâj, bien évidemment, se présente comme un homme qui a été « consumé » et qui entend transmettre son savoir à ses disciples, et à tous ceux qui seraient concernés par son témoignage.

Cette expérience l’autorise à parler d’autorité, et à guider les autres soufis. Mais quel est son statut, sa position par rapport à d’autres maîtres ? A priori, tout mystique qui a été consumé possède une science unique, complète en quelque sorte. Il n’y a pas de « moitié-noyé », de « moitié-consumé ». L’indicible est indicible pour tous ; en principe, tous les hommes se trouvent ici à égalité.

Tous à égalité – mais alors, quel est le rôle de guides des prophètes ? Comment situer cette expérience mystique hallâjienne dans le cadre d’une prophétologie musulmane ? C’est ici qu’intervient le discours sur Muhammad. Hallâj va méditer sur la figure de Muhammad pour penser l’impensable, exprimer l’inexprimable. Quel est le degré de la science divine acquise par le mystique, par rapport à celle du prophète ? Il ne s’agit pas d’introduire une nouvelle complication, une intrusion de la théologie dans un domaine qui lui échappe. Hallâj tente au contraire d’utiliser cette question comme une clé : c’est la conformation au modèle du prophète Muhammad qui pourrait permettre d’approcher cet inexprimable.

Muhammad, lumière primordiale

Dès la première phrase du premier chapitre des Tawâsîn, Hallâj mentionne Muhammad pour le qualifier de « flambeau de lumière surnaturelle » (sirâj min nûr al-ghayb) apparu parmi les lumières ; puis de « lune » et d’ « astre ». Muhammad est la lumière la plus brillante, la plus ancienne dans l’univers. La préexistence de cette lumière est affirmée avec netteté. Nous retrouvons donc ici une conception que Sahl Tustarî avait déjà esquissée. Rappelons que Hallâj avait été, encore jeune homme, serviteur-disciple de Sahl à Tustar, de 874 à 876, et qu’il avait à coup sûr pris connaissance des doctrines de son maître. Hallâj insiste lui aussi sur cette idée de préexistence ; et il la précise. Il explicite le fait que Muhammad était inspiré, instruit par le Dieu-Réel (al-Haqq). C’est le Dieu-Réel qui le fait parler, et non une inspiration dérivée, médiatisée par des anges, comme le professaient les mu‘tazilites. Muhammad est de quelque manière en lien direct et permanent avec le Dieu absolu. Muhammad est une manifestation cosmique, un « éon » (dahr) : sa science contient toutes les sciences, son « siècle » contient chaque moment de l’histoire. Il est lié à Dieu (al-Haqq) et exprime la réalité métaphysique (al-haqîqa) des choses. Sa dimension métaphysique échappe au domaine de la création. En fait, le Prophète possède deux dimensions distinctes et inséparables. A parte ante, le Prophète existait depuis la prééternité, et sa Parole est parole divine. Il est incomparable aux autres prophètes. Par exemple, la familiarité avec Dieu (uns) a précédé chez lui le reproche divin qui peut apparaître parfois adressé au Muhammad historique dans le Coran, tellement il était uni à Dieu dès l’origine. Ceci à l’inverse de ce qui s’est produit pour d’autres prophètes, comme Noé.

En tant que premier créé, Muhammad est à la fois le modèle et la finalité de la création. Ainsi écrit Hallâj : « Il est le guide, et il est le terme du chemin ». Rûzbehân commente cette affirmation en sorte d’en modérer les implications : Muhammad manifestait Dieu, car dans la jonction avec Lui accomplie dans l’amour, les Actes divins, les Attributs divins et l’Essence divine sont perçus comme une même réalité. En ce sens il pouvait se dire « Lui », selon le hadith connu : « Celui qui m’a vu, a vu Dieu ». Notons toutefois que Rûzbehân introduit ainsi des explications doctrinales qui ne sont nullement incluses dans le texte même des Tawâsîn.

    Mais au fond, le but de ces évocations n’est pas de fonder en théologien une doctrine prophétologique, laquelle aurait d’ailleurs bien du mal à trouver des fondements scripturaires. L’objectif des Tawâsîn est de mettre en relief la condition même de l’expérience de remontée de l’âme vers Dieu et de consomption en Lui – soit sa propre expérience, à lui Hallâj. En effet le prophète Muhammad, en tant que personne historique, a vécu selon le modèle parfait de ce que peuvent atteindre les mystiques. De ce fait, il représente une des « préfigures, de plus en plus translucides, de la vision ». Mais dans quels termes, jusqu’à quelle limite constitue-t-il un modèle ? Muhammad reste bien sûr le guide, ne serait-ce qu’en tant que transmetteur du Coran. Mais dans quelle mesure son vécu spirituel – illustré selon Hallâj par le récit du début de la sourate 53 – peut-il être endossé par un soufi ? L’expérience tracée par Hallâj dans les Tawâsîn prétend explicitement rejoindre celle de Muhammad : c’est parce qu’il l’a vécue que Hallâj se permet de la décrire, de la commenter.

    Expérience prophétique et mystique hallâjienne

    Hallâj décrit cet itinéraire singulier à l’intérieur de soi. Il explique comment Muhammad a rejeté le monde sensible (le « où », ayn), s’est tenu à cette frontière indicible entre la dualité (l’intervalle, al-bayn) et l’Essence (al-‘ayn). Muhammad a rencontré Dieu, il a vécu ce qu’ont vécu les papillons les plus audacieux ; il a eu accès au Dieu-Réel, au Haqq. « Il le vit de façon suréminente, puisqu’il réside avant même son apparition sur terre dans le Sanctuaire (haram) de la présence intime de Dieu, où personne ne peut pénétrer ». Son expérience dépasse celle de Moïse : Muhammad qui a vu (l’Essence divine) est supérieur à Moïse qui n’a fait qu’entendre la voix.

    Qu’en est-il de l’homme non prophète, qui lui est issu du monde contingent ? Hallâj s’introduit lui-même dans ces spéculations, et invite son lecteur à le suivre : « Dieu l’a préservé (lui, Muhammad) de sa création, car il est Lui, et moi (Hallâj) je suis lui, et Lui est Lui». Nous nous retrouvons ici au centre de notre propos. L’homme mystique accompli est affranchi des conditions de l’être même. En commentaire du verset du Coran 5 : 20, « Il a fait de vous des rois… », il commente : « Il vous a affranchis de l’esclavage du monde engendré… ». Ceci pourrait se comprendre dans un sens simplement ascétique, mais ce n’est pas ainsi que Hallâj l’entendait. Car l’être humain est lumineux par nature. Plus encore, il est en quelque sorte incréé, ou du moins pré-créé. À propos du verset 64 : 3 « Il vous a donné votre forme, et quelle belle forme Il vous a donnée ! », Hallâj commente à propos de cette notion de forme humaine : « Elle (cette forme) a été affranchie de l’humiliation du « Sois » ! »…». Nous comprenons mieux la démarche de Hallâj : tout homme terrestre peut – au moins en puissance – reproduire le modèle muhammadien pré-existentiel tel qu’il vient d’être évoqué, puisqu’il est constitué d’une façon analogue.

    Mais quelle est alors la nature du lien entre l’Homme parfait Muhammad – et le reste de l’humanité ? C’est sans doute celui d’un modèle à imiter, mais cette imitation elle-même ne peut avoir lieu que sur un mode très particulier. Dès le premier chapitre des Tawâsîn, Hallâj s’identifie à Abû Bakr, en tant qu’il est le parfait Compagnon. C’est-à-dire que l’imitation, l’accompagnement est une voie. Cette voie, accomplie dans la plus stricte sincérité et vérité (sidq, qualité d’Abû Bakr appelé ici le siddîq) mène au « califat », à la lieutenance. Ce califat n’est pas ici à entendre dans un sens politique, mais bien dans le sens cosmique suggéré dans le récit de la création, où la fonction de khalîfa est conférée à Adam (Coran 2 : 30). C’est peut-être cette fonction « califale » que Hallâj avait revendiquée pour lui-même.

    Cette imitation passe par une conformation, une « construction » du modèle muhammadien à l’intérieur de soi-même. Ceci suggère donc l’acceptation d’une destruction de son soi individuel actuel. C’est une expérience unique, individuelle. Hallâj se définit d’ailleurs comme un solitaire. Il est un papillon qui est entré dans la flamme. Il a pénétré dans le cercle ultime de la Présence, il s’y est consumé. Hallâj a « trouvé » parce qu’il s’y est « perdu ». Son exclamation « je suis le Dieu-Réel – anâ al-Haqq » y trouve son sens. Tout ce qui est dit sur l’expérience de Muhammad semble pouvoir se rapporter à Hallâj. D’une certaine manière, l’expérience de Hallâj est plus significative encore, puisqu’elle provient d’un homme simplement terrestre, non du premier être humain pré-existant. C’est le paradoxe de la sainteté terrestre actuelle, walâya, déjà désigné comme supérieure à la prophétie dans un célèbre paradoxe de Bastâmî : « Par Dieu ! Mon étendard est plus grand que l’étendard de Muhammad ».

    Mais Hallâj ne décrit pas seulement son propre parcours vers l’anéantissement de soi et la résurrection spirituelle. Il interpelle le lecteur également, celui pour qui il écrit : « Abandonne la création, afin que tu deviennes Lui, et Lui toi, sous le rapport de la réalité métaphysique ». Muhammad reste le modèle de l’union – mais précisément pour devenir la référence de l’élu mystique, de celui qui est digne (ahl), glorieux (majîd), solitaire (farîd). C’est à la communauté de ceux-là qu’appartient Hallâj, à ce groupe de solitaires. Les grands saints sont peut-être la « famille de Muhammad» mentionnée ailleurs par Hallâj. Hallâj se situerait, en termes chiites, parmi les « Orphelins », les initiés qui ont accédé au savoir des Imams sans appartenir eux-mêmes à la généalogie charnelle du Prophète. C’est l’annonce de cette potentialité spirituelle qui est le noyau de la prédication de Hallâj. Hallâj se sait investi d’un rôle particulier par rapport à ses contemporains. Ceux qui cherchent Dieu doivent passer par lui, y compris ceux qui l’ont critiqué. Hallâj est celui qui décrit (wâsif) ce qu’il a vu. Hallâj est un élu, affirme sa poésie. Il évalue et conseille les impétrants dans la voie mystique. Il perpétue le témoignage du Prophète.

    Qu’en est-il alors des prophètes autres que Muhammad ? Hallâj leur concédait une éminente supériorité dans le contrôle de leurs états spirituels. Notons également que Hallâj s’identifie à la figure de Moïse dans plusieurs fragments. Ainsi un poème cité dans les Akhbâr expose une énigme graphique dont la solution est « je suis Moïse ». Dans les Tawâsîn, il s’identifie même au Buisson ardent. Un poème célèbre exprime cette expérience mosaïque :

    L’alliance de la prophétie est comme un flambeau de lumière (divine), dont le pont d’attache est caché dans l’enfeu du couvent [du cœur]

    Par Dieu ! L’esprit (incréé) insuffle, dans mon cœur une pensée : celle-là qu’Isrâfîl soufflera dans la trompette

    Dès qu’Il se transfigure ainsi devant ma nature pour me parler, j’aperçois Moïse, en personne, sur le Sinaï

    Ce court poème montre l’aspect prophétique et eschatologique de l’expérience hallâjienne. Hallâj se pose lui-même comme médiateur entre Dieu et ceux de ses contemporains qui l’écoutent ou le lisent. Le saint muhammadien possède de toute évidence une science suprême du divin.

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    On peut en définitive résumer cette position de Hallâj en posant des affirmations complémentaires. 1) Le Prophète est l’origine du monde, il est la face humaine de Dieu. Il s’agit là d’un point dont on ne soulignera jamais assez l’importance nodale. L’existence même de Muhammad permet l’union à Dieu, en ce que Dieu est précisément manifesté par une forme humaine. Suivre le Prophète, c’est donc rejoindre cet état de l’être, c’est accomplir en soi-même ce qui peut être reproduit de la théophanie divine en l’homme ; c’est assimiler en soi cette interface entre l’Essence divine et sa manifestation. 2) Simultanément, Muhammad est un homme ayant vécu dans l’histoire et y ayant déployé une action. En ce sens, il est imitable d’une autre façon : il propose des actes, il exprime des états intérieurs. Et celui qui suivra sa démarche, rejoindra son « être-avec-Dieu ».

    Cette position du Prophète selon Hallâj apparaît ailleurs, dans une réponse de Hallâj face à un homme qui lui demanda : « À partir de quel moment Muhammad fut-il prophète (nabiyyan), et comment lui advint sa mission d’Envoyé (risâlata-hu) ? ». La question se rapportait au débat bien connu des modalités et du moment de l’apprentissage de la foi par Muhammad, et du moment précis où il prit conscience de son envoi en mission prophétique. Hallâj répondit : « Nous vivons après l’Envoyé et sa mission, après le prophète et son prophétat. Comment peux-tu mentionner celui que seul Dieu peut mentionner dans sa réalité, l’ipséité de celui qui ne se définit que par l’ipséité de Dieu ? Comment le prophète (al-nabî) se situait-il par rapport à son prophétat (nubuwwa) lorsque le Calame écrivit à son sujet ‘Muhammad est l’Envoyé de Dieu’ (Coran 48 : 29), alors que l’espace et le temps sont à l’origine (des événements terrestres) ? Comment peux-tu connaître la Réalité absolue et la vérité (qui en dérive) ? Or, lorsque le nom de Muhammad apparut ainsi accompagnant la mission, son nom fut magnifié par la mention de cette mission, en tant qu’Envoyé ferme et représentant loyal. Sa mention se diffusa dans la pré-éternité, appuyée par les anges et les prophètes, et fut élevée au rang suprême ». En d’autres termes : le Prophète est renvoyé par Hallâj à une dimension extra-temporelle. La parole revient maintenant à ses successeurs, qui indiquent le chemin d’une théomorphose de type muhammadien.

      Reste finalement le paradoxe de l’infini dans le fini. Dieu reste Dieu, et l’homme reste un homme. Un commentaire de Hallâj au verset 3 : 18 du Coran est mentionné par Sulamî dans ses Haqâ’iq al-tafsîr : « Ibn Mansûr (al-Hallâj) demanda à quelqu’un : « Tu prononces la profession de foi (shahâda) lors de l’appel à la prière ? » Il répondit que oui. Hallâj reprit : « Tu es mécréant dans ta profession de foi en unissant Dieu et son Envoyé sans les séparer – à moins que tu ne témoignes de Dieu pour Le magnifier, et du Prophète pour la charge et la diffusion de son message. Ici, les secrets des cœurs se mettent à errer au-delà de ce qui n’est pas Dieu – or il n’y a rien hormis Dieu ! ». Alors, quelle est la clé du paradoxe ? Sans nul doute, l’existence des hommes divins, parfaits et accomplis parce qu’ils se sont perdus en Dieu. Ces hommes sont la clé de toute vie religieuse : qu’il s’agisse de Muhammad, ou bien de ses lieu-tenants après lui, comme Husayn ibn Mansûr al-Hallâj.

      Par Pierre Lory

      Vous pouvez retrouver la publication d’origine sur le site OpenEdition ici.