Dieu se déclinerait-il au féminin en islam ? Dans cette religion supposée être machiste ? Des études sérieuses montrent que l’islam accorde à la femme toute son autonomie ontologique, spirituelle et juridique, et que le Prophète peut véritablement être qualifié de ‘‘féministe’’ – dans le contexte de son époque bien sûr. Mais le vieux fond arabe patriarcal, misogyne, a vite repris le dessus ; ce fut au demeurant le lot de tout le bassin méditerranéen.
Dieu au féminin ? Donnons-en des indices, qui s’imposent de plus en plus dans certains milieux musulmans. Ainsi chaque sourate s’ouvre-t-elle sur la formule que l’on traduit communément par « Au nom de Dieu, le Tout Miséricordieux (Rahman), le Très Miséricordieux (Rahîm). Or, la racine sémitique RHM signifie la matrice féminine, l’utérus. C’est cette fonction enveloppante, protectrice, maternelle, de Dieu qui est suggérée par ce verset coranique : « Ma Miséricorde enveloppe toute chose » (7 : 156) ou encore par une parole du Prophète assurant que Dieu serait plus clément avec les humains au jour du Jugement que cette femme ne l’était avec son enfant qu’elle était en train d’allaiter et devant laquelle il passait. Dans sa traduction du Coran, André Chouraqui traduisait d’ailleurs la formule précitée par : « Au nom d’Allah, le Matriciant, le Matriciel », et certaines musulmanes féministes refusent de L’appeler au masculin (« Lui »), se concentrant sur le Nom (Allâh, Dieu, God…) qui, selon elles, est au-delà de toute sexualisation.
On notera encore que le musulman, lorsque son prénom comporte un Nom divin, n’en est que le serviteur, par exemple : « serviteur du Majestueux » (‘abd al-Jalîl), alors que la musulmane, elle, porte directement le Nom avec la désinence féminine, par exemple : « Majestueuse » (Jalîla).
Les soufis, qui voient dans la femme le support de contemplation de Dieu le plus accompli, ont par évidence exploré cette fibre féminine du Divin. Par une alchimie du langage dont ils ont le secret, ils ‘‘remontent’’ vers l’Essence divine – le terme est de genre féminin en arabe comme en français – en donnant à celle-ci divers prénoms féminins. Ils transmuent de la sorte sur le plan spirituel la poésie de l’amour profane, la poésie érotique, si célébrée dans la culture arabe.
Il y a Mayya, Salmâ, Lubnâ, toutes symboles de l’Essence. Ibn ‘Arabî (m. 1240), lui, a connu Nizhâm (« Harmonie »), alors qu’il tournait autour de la Kaaba, à La Mecque. Elle lui révèle l’Éternel féminin qui mène à Dieu. Mais la plus courtisée est sans conteste Laylâ, la nuit, la nocturne, la mystérieuse. Les soufis se sont souvent identifiés à Majnûn, le « fou de Laylâ », perdu dans la contemplation de sa belle (Cette histoire a inspiré à Louis Aragon Le Fou d’Elsa, dans lequel l’amant est, à l’instar de Majnûn, l’objet d’une transfiguration).
Mais souvent ces prénoms cèdent la place à l’allusif pronom « Elle » (hiyâ) qui, dans les poèmes soufis, signe le Féminin absolu.
Point d’étonnement, dès lors, à ce qu’Ibn ‘Arabî et l’émir Abd el-Kader, son disciple à travers le temps, accordent un rang métaphysique et cosmique tout particulier à la ‘‘femme’’, miroir du Divin. À leurs yeux, la femme accomplie détient même la précellence sur l’homme…