Al-Burda – Le Manteau

D’al-Busîrî (m. 1296)

Traduction de Néfissa Roty-Geoffroy

En cette soirée bénie du Mawlid et en ces temps troublés, convier la Burda semble incontournable. La burda un long poème (qasîda) à l’éloge du Prophète Muhammad composé par al-Busîrî (m. 1296), un soufi égyptien, élève d’Abu al-‘Abbâs al- Mûrsî, lui-même disciple de l’Imâm al-Shâdhilî. Poète de renom et calligraphe, al-Busîrî écrivit cette œuvre alors qu’il souffrait d’une paralysie.

Refrain

مَوْلايَ صَلِّ وَسَلِّـمْ دائِمًا أَبَدًا       عَلى حَبـيـبِكَ خَيْـرِ الْخَلْقِ كُلِّهِم

Mawlâya salli wa sallim dâ’iman abadan
‘alâ habîbika khayri khalqi kullihimi

Ô mon Maître, étends Tes grâces, toujours et à jamais,
Sur Ton Bien-aimé, la meilleure de toutes les créatures.

Poème[1]

 

    مُحَمَّدٌ سَـيِّدُ الْكَــوْنَيْنِ والثَّقَلَـيْنِ *** وَالْفَريقَـيْنِ مِنْ عَـرَبٍ وَمِنْ عَجَـمِ

Muhammad est le seigneur des deux mondes, des deux catégories d’êtres[2]

Et des deux groupes, Arabes et ‘Ajamî.[3]

نَبِيُّنَـا الآمِرُ النَّـاهِي فلا أَحَـدٌ *** أَبَـرَّ في قَــوْلِ لا مِنْـهُ ولا نَعَـمِ

Notre Prophète ordonne et interdit, mais nul

N’est plus charitable que lui dans l’énoncé du « non » et du « oui ».

هُوَ الْحَبيبُ الَّـذي تُرْجَى شَـفاعَتُهُ ***  لِكُــلِّ هَوْلٍ مِنَ الأهْـوالِ مُقْـتَحِمِ

C’est l’Aimé de Dieu dont on espère l’intercession[4]

Pour contrer les périls les plus redoutables.

دَعَـا إِلى اللهِ فالمُسْـتَمسِـكُون بِـهِ ***  مُسْتَمسِـكُونَ بِحَبْـلٍ غَيْرِ مُنفَصِـم    

Il a appelé à Dieu, et ceux qui se sont ralliés à lui

Ont saisi une corde qui ne peut se rompre.

فــاقَ النَّـبِـيِّـينَ في خَلْـقٍ وَفي خُلُـقِ ***  وَلَمْ يُـدَانُوهُ في عِلْــمٍ وَلا كَـرَم

Il surpasse les prophètes de corps[5] et d’esprit,

Qui ne l’égalent ni en science, ni en noblesse.

وكُـلُّهُم مِن رَسـولِ اللهِ مُلتَمِـسٌ *** غَرْفَا مِنَ الْبَحْرِ أو رَشْفاً مِنَ الدِّيَـمِ

Et tous puisent auprès de l’Envoyé de Dieu

Un peu de son océan ou une goutte de sa pluie infinie.

وَوَاقِفونَ لَدَيــهِ عِنْـدَ حَدِّهِــمِ *** مِنْ نُقْطَةِ العِلْمِ أَوْ مِنْ شَكْلَةِ الْحِكَـمِ

Se tenant en sa présence, suivant leur instance,

Ils ne sont que les « points des consonnes » de sa science ou les « signes des voyelles » de sa sagesse[6].

فَهُوَ الَّذي تَمَّ مَعْناهُ وَصورَتُهُ *** ثُمَّ اصْطَفـاهُ حبيبًا بارِئُ النَّسَــمِ

C’est lui dont l’intérieur et l’extérieur ont été parachevés,

Puis qui a été élu comme Aimé par le Créateur des âmes.

مُنَـزَّهٌ عـَنْ شَـريكٍ في مَحاسِـنِهِ ***  فَجَـوْهَرُ الْحُسْـنِ فيهِ غَيْرُ مُنْـقَـسِـمِ

Dépourvu de tout rival concernant les vertus,

L’essence même de sa bonté est sans partage.

دَعْ ما ادَّعَتْهُ النَّصارى في نَبِيِّهِـمِ *** وَاحْكُمْ بِما شِئْتَ مَدْحًا فيهِ وَاحْتَكَمِ

Laisse ce que les chrétiens racontent sur leur prophète

Et louange-le à ta guise, à toi de juger en toute sagesse.

وَانْسُبْ إِلى قَدْرِهِ ما شِئْتَ مِن عِظَـمِ *** وَانْسُبْ إِلى ذاتِهِ ما شِـئْتَ مِنْ شَـرَفِ

Attribue à sa nature essentielle toute la noblesse qui te sied

Et réserve à son mérite toute la magnificence qui te plaît.

فَــإِنَّ فَضْلَ رَســولِ اللهِ لَيْـسَ لَهُ *** حَـدٌّ فَيُعْـرِبَ عَنْـهُ نــاطِقٌ بِفَمِ

En vérité, l’excellence de l’Envoyé de Dieu n’a pas de limite

Et toute langue qui s’exprimerait à ce sujet échouerait.

لَوْ نـاسَـبَتْ قَـدْرَهُ آيـاتُهُ عِظَمًا *** أَحْيـا اسْمُهُ حينَ يُـدْعَى دارِسَ الرِّمَمِ

Si ses miracles[7] égalaient en puissance sa valeur,

L’invocation de son nom suffirait à ressusciter les débris d’os.

لَمْ يَمْتَحِنَّــا بِمـا تَعْيَــا الْعُقولُ بِـهِ ***  حِرْصًا عَلَـيْنا فَلَمْ نَرْتَـبْ وَلَمْ نَهِمِ

Il ne nous a pas fait subir d’inintelligibles discours,

Grâce à sa sollicitude, nous ne connaissons ni le doute ni l’illusion.

أَعْيـا الوَرى فَهْمُ مَعْناهُ فَلَيْسَ يُرَى ***  في الْقُرْبِ وَالْبُعْـدِ فيهِ غَـيْرُ مُنْفَحِمِ

Mais la perception de sa réalité a éprouvé les êtres, et on ne voit

Près de lui et loin de lui, que des gens subjugués.

كَـالشَّمْسِ تَظْهَرُ لِلعَيْنَيْنِ مِن بُعُدٍ ***  صَغيرةً وَتُكِـلُّ الطَّـرْفَ مِنْ أَمَـمِ

Tel le soleil qui, par la distance, apparaît à nos yeux

Petit, mais qui épuise le regard de face.

وَكَيْفَ يُــدْرِكُ في الدُّنْيا حَقيقَتَهُ ***  قَــوْمٌ نِيَامٌ تَسَلَّوْا عَنْهُ بِـالْحُلُمِ

Comment appréhenderait-il ici-bas sa réalité

Ce peuple assoupi qui se laisse distraire par les rêves ?

فَمَبْلَغُ الْعِــلْمِ فيهِ أَنَّــهُ بَشَــرٌ *** وَأَنَّــهُ خَيْرُ خَلْـقِ اللهِ كُـــلِّهِمِ

Voilà la somme de notre connaissance à son sujet : il est un homme

Mais, il est la meilleure de toutes les créatures de Dieu.

وَكُــلُّ آيٍ أتَى الرُّسْـلُ الكِـرَامُ بِهَ *** فـإِنَّما اتَّصَلَتْ مِن نورِهِ بِهِــمِ

Tous les prodiges accomplis par les nobles Messagers de Dieu

Ne sont réalisés que par le rayonnement de sa lumière[8] sur eux.

فَـاِنَّهُ شَمْـسُ فَضْلٍ هُـم كَــواكِبُها  ***  يُظْهِرْنَ أَنْـوارَهَا لِلنّاسِ في الظُّلَمِ

En vérité, il est le soleil de la grâce, eux sont ses planètes,

Elles ne dévoilent leur lumière aux hommes que dans l’obscurité.

أَكْــرِمْ بخَلْـقِ نبيٍّ زانَــهُ خُلُـقٌ ***  بِالْحُسْـنِ مُشْـتَمِلٌ بِالْبِشْـرِ مُتَّسِـمِ

Rends hommage à la beauté d’un prophète qui n’a d’égale que sa bonté

La grâce l’habille et la joie le distingue.

كَالزَّهْرِ في تَرَفٍ وَالْبَـدْرِ في شَـرَفِ ***  وَالْبَحْرِ في كَــرَمٍ وَالـدَّهْرِ في هِمَمِ

Il égale la fleur en finesse, la pleine lune en élévation,

La mer en largesses et le temps en aspirations.

كَــأنَّهُ وَهُـوَ فَرْدٌ مِنْ جَلالَتِــهِ ***  في عَسْـكَرٍ حينَ تَلْقاهُ وَفي حَشَــمِ

De sa personne émane une majesté si singulière qu’il te semble,

Si tu le croises, le voir accompagné d’une garde et de suivants.

كَـــأنَّمَا اللُّؤْلُؤُ الْمَكْنُونُ في صَدَفِ ***  مِنْ مَعْــدِنَيْ مَنْطِـقٍ مِنْهُ وَمُبْتَسَـمِ

C’est comme si la perle dans son écrin de nacre,

Apparaît des deux mines[9] quand il parle et sourit.

لا طِيبَ يَعْــدِلُ تُرْبًـا ضَمَّ أَعْظُمَهُ ***  طوبى لِمُنْتَشِـقٍ مِنْـهُ وَمُـلْتَثِـمِ

Nul parfum ne se compare à celui de la terre qui couvre son corps
Heureux celui qui hume ce parfum ou baise cette terre !

Traduction de Néfissa Roty-Geoffroy

 

[1] Le passage de la Burda qui suit commence au 34ème vers et fait partie du 3ème chapitre, celui sur l’éloge du Prophète (al-fasl fî madh al-nabî).

[2] Les hommes et les djinns.

[3] Al-A‘jamî : les Étrangers, c’est-à-dire ceux qui ne parlent pas l’arabe.

[4] Le Prophète a le pouvoir d’intercéder pour les croyants de sa communauté le jour du jugement dernier.

[5] ‘Alî rapporte que « le prophète n’était ni longiligne ni trop court et avait les paumes et les pieds larges ; sa tête était puissante et ses articulations imposantes. Les poils qui descendaient de sa poitrine à son nombril formaient une longue ligne. Quand il marchait, il s’inclinait vers l’avant comme s’il descendait d’une pente ; je n’ai vu ni avant lui ni après lui un homme comme lui » (al-Tirmidhî). Abou Juhayfa dit : « J’ai pris sa main et je l’ai posée sur mon visage. Elle était plus fraiche que la glace et avait une odeur plus agréable que le musc ». (al-Bukhâri). Anas ibn Malik a décrit le Prophète en ces termes : « Il était un homme d’une taille moyenne : ni longiligne, ni trop court ; sa peau affichait une couleur qui n’était ni d’une blancheur éclatante, ni brune ; sa chevelure n’était ni crépue ni trop longue » ». (Al-Boukhari). Jâbir ibn Samrata rapporte « Le Messager d’Allah avait une large bouche, de grands yeux et des chevilles plutôt minces » (Muslim). Jâbir Ibn ‘Abdillâh rapporte que Le Prophète avait une barbe très fournie (Muslim). Al-Bara ibn ‘Azib dit : « L’Envoyé d’Allah avait de larges épaules et une abondante chevelure ; il portait un habit rouge. En vérité, je n’ai jamais vu un homme plus beau que lui ». (Muslim).

[6] En arabe les points diacritiques qui différencient les consonnes les unes des autres, sont écrits au-dessus et au-dessous du corps du mot, les voyelles également. Le corps consonantique constitue donc l’axe fondamental des mots. Cette belle métaphore donne au Prophète une fonction axiale prépondérante.

[7] L’islam, à travers son prophète, n’a pas cherché à s’imposer par le miracle, rarement mis en scène ou mentionné. Le miracle véritablement attesté en islam est celui que constitue la révélation coranique.

[8] La lumière muhammadienne (al-nûr al-muhammadî) est, selon le hadith, la première des créations de Dieu.

[9] Les deux mines, sont ici les lèvres qui s’entrouvrent quand le Prophète parle ou sourit et laissent apparaître « le trésor » de ses dents blanches.