Au nom de Dieu le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux
La fête du Mawlid – ou Mawlûd [1] – célèbre la naissance du Prophète Muhammad, le 12 rabî’ al-‘awwal, au troisième mois du calendrier islamique. A l’époque du Prophète, cet événement n’était pas fêté, bien sûr. Pour autant, le Prophète jeûnait toujours le lundi car, expliquait-il, c’était le jour de sa naissance et celui du début de sa prophétie. Après sa mort, les musulmans ont ressenti le besoin de commémorer la naissance du prophète Muhammad en pratiquant des actions de grâces particulières, mais ce n’étaient que des manifestations ponctuelles, sans caractère officiel [2] . Le Mawlid est devenu une pratique courante et institutionnelle au début du 13ème siècle, grâce à la ferveur des soufis.
Les voyageurs Ibn Jubayr (m. 1217) et Ibn Battûta (m. 1369) évoquent dans leur relations de voyage (al-Rihla) la célébration du Mawlid : « La demeure du Prophète est ouverte tous les lundis du mois rabî‘ al-awwal et tout le monde y entre pour profiter de ce lieu béni, car c’est en ce jour et en ce mois qu’est né le Prophète » ; « le jour anniversaire de la naissance du Prophète, le chef de la tribu Banû Shayba, gardien de la Kaaba, ouvre la porte de celle-ci et distribue de la nourriture aux gens ». D’autres historiens [3] relatent que Le 12 de Rabic al-awwal de chaque année, après la prière de Maghrib, les quatre qadis de la Mecque et de nombreux groupes, composés de juristes et de notables, de cheikhs et de leurs disciples, de magistrats et de savants, sortent ensemble de la Grande Mosquée et se rendent sur le lieu où le Prophète vint au monde, en récitant dhikr et tahlil (lâ ilâha illa-Llâh). Les maisons sur le parcours sont illuminées par de nombreuses lanternes et bougies, et les habitants se joignent au cortège. Tous sont revêtus de leurs plus beaux habits et leurs enfants les accompagnent. Un discours religieux est prononcé pour se remémorer la naissance du Prophète et les miracles (karamat) qui eurent lieu en ce jour. Peu de temps avant la prière de cIcha‘, la foule retourne à la Grande Mosquée, se range derrière le Maqam Ibrahim et commence alors les invocations…
Cette célébration religieuse a longtemps fait débat au sein de la communauté musulmane. Certains théologiens l’ont interdite, arguant du fait que c’est une innovation (bid’a), sans référence au Coran ou à la tradition prophétique. Cette opinion est encore celle de l’Arabie saoudite, qui ne fête pas officiellement le Mawlid, mais en tolère néanmoins les festivités privées. Cependant, la majorité des autorités religieuses ont légitimé la célébration du Mawlid en lui donnant le statut de bid’a hasana, une bonne innovation, propre à renforcer la foi du croyant et son amour pour le Prophète. C’est le cas notamment du savant Suyûtî (m. 1505), réputé pour ses fatwas, qui reconnait et encourage les pratiques du Mawlid telles que la réunion spirituelles des musulmans, la récitation du Coran, la narration de la naissance du Prophète et des signes qui l’ont accompagnée ainsi que la distribution de nourriture. En général, les pays musulmans en ont fait un jour férié. En Syrie, les célébrations s’échelonnent sur deux mois, rabî’ al-awwal, rabî’ ath-thânî durant lesquels des petits groupes de chanteurs et de musiciens tournent dans les maisons pour y célébrer le Prophète [4] .
Nous tenons de Sidi Ben Slîmân Al-Jazûlî (m. 1465), un des sept saints vénérés à Marrakech au Maroc, Le guide des bienfaits, Dalâ’il al-khayrât. C’est un recueil d’oraisons à la louange du Prophète, très célèbre dans le monde musulman et particulièrement dans les milieux soufis. L’auteur y cite en préambule tous les adiths (traditions prophétiques) qui décrivent les bienfaits que peuvent tirer les musulmans de la prière sur le Prophète. Il recence ensuite les noms divins et ceux du Prophète sous forme de litanie. Enfin, il divise son ouvrage en sept chapitres, un pour chaque jour de la semaine, tel un bréviaire. Ce sont de longues prières sur le Prophète, à la fois simples et lyriques : chaque grain de sable, chaque goutte des océans, chaque souffle des créatures est pris à témoin et participe à cette célébration cosmique donnant ainsi au Prophète sa dimension d’Homme universel (al-Insân al-kâmil). La forme incantatoire des invocations se prête parfaitement à la récitation collective : ces prières animent souvent les réunions spirituelles, notamment durant les festivités du Mawlid.
Les noms et surnoms qui sont attribués au Prophète dans Dalâ’il al-Khayrât sont au nombre de 201. Ils sont d’origines diverses :
- Le nom que lui donna, à sa naissance, son grand-père ‘Abd al-Muttalib :
“ Je l’ai nommé Muhammad (loué) car j’ai voulu qu’il soit loué au ciel par Dieu, et sur terre par les créatures de Dieu [5] ”.
- Les Kunya (noms de paternité) : Abû-l-Qâsim (père de Qâsim), du prénom de son premier fils qui mourut avant d’avoir atteint l’âge de deux ans [6] . Il est encore évoqué par une autre kunya, celle d’Abû z-Zahrâ’ (père de Zahrâ’), surnom de sa fille bien aimée Fatima.
- Les noms par lesquels il est qualifié dans le coran : Karîm (généreux, noble) Muzammil (qui est enveloppé [d’un manteau]) [7] …
- Les noms par lesquels, dans le hadîth, le Prophète se définit lui-même :
“ J’ai cinq noms : Je suis Muhammad ; je suis Ahmad ; je suis al-Mâhî, par lequel Dieu efface l’incroyance ; je suis al-Hâshir, qui rassemble les gens derrière lui jour du Jugement dernier ; je suis al-‘Âqib, celui après lequel il n’y aura plus de prophète [8] . »
- Les surnoms (laqab) que lui donnèrent ses compagnons : Badr (pleine lune)… et ceux par lesquels la tradition islamique le loue et le vénère et qui ont souvent trait à sa mission prophétique : Nabî ar-Rahma (le prophète de la Miséricorde) Khâtib al-Umam (le prédicateur des communautés), Shâfi’ (intercesseur)…
- Les noms que la tradition musulmane attribue au Prophète et qui sont souvent utilisés comme substitut à celui de Muhammad : Amîn (digne de confiance), Habîb (bien-aimé), Mustafâ (élu pour sa pureté), Munîr (lumineux) Hâdî (guide), Tâhâ et Yâsîn (titres de deux sourates coraniques)…
Rappelons que le nom complet du Prophète est, Muhammad (prénom /ism), Abû-l-Qâsim (Père de Qassim – nom de paternité / kunya), Ibn ‘Abd-Allâh Ibn ‘Abd al-Muttalib (fils de Abdallah, fils de ‘Abd al-Muttalib – nom de filiation / nasab), al-Hâshimî (de la tribu Hachimite – nom d’origine / nisba).
Concernant l’identité prophétique, le hadith le plus emblématique est le suivant : “ Celui qui nomme son fils Muhammad (très loué), par amour pour moi et pour attirer ma bénédiction sur cet enfant, entrera au Paradis avec lui. [9]
Cette parole n’a pas été vaine car le prénom du Prophète est devenu, depuis le VIIe siècle, l’un des prénoms masculins les plus attribués dans le monde, si l’on considère ses nombreuses adaptations dans les langues d’accueil : il devient Mamode à La Réunion, Mouhamadou ou Mamadou en Afrique noire, Mehmet en Turquie, Magomed en Tchétchénie …. On ne compte plus les personnages illustres qui ont porté et portent encore ce prénom, imam, sultans, généraux, poètes, savants ou réformistes… Traditionnellement, il est porté par le fils aîné d’une famille, parfois en premier terme d’un nom composé, le deuxième étant choisi parmi les nombreuses autres appellations qui qualifient le Prophète : Mohammed-Amin, Mohammed-Yassin …
Aujourd’hui, Mohamed, la variante maghrébine simplifiée, reste le prénom arabe le plus fréquemment attribué dans les familles musulmanes de France, en dépit de toutes les modes en la matière. Il connait même actuellement un pic de popularité, peut-être en réaction à l’histoire des « caricatures de Mahomet »[10] … Quant au Mawlid, sa célébration en Occident va croissant, et est bien accueilli en tant qu’événement spirituel propice au rapprochement des cultures et à l’instauration d’une fraternité partagée.
[1] Ces mots appartiennent à deux catégories grammaticales différentes : mawlid est un nom de temps et de lieu, et signifie donc « le lieu ou le temps de naissance » ; mawlûd est un participe passif, et signifie alors « celui qui est mis au monde ».
[2] Les Fatimides de l’Egypte (909-1171) fêtaient quatre anniversaires : ceux du Prophète Muhammad, de ‘Alî, de Fâtima et du calife régnant. L’historien al-Maqrîzî rapporte même que la naissance du Prophète ‘Îssâ (Jésus) était également célébrée à cette époque.
[3] Ibn Zâhira al-Hanafî, Ibn Hajar al-Haythamî, al-Nahrawalî, al-Diyarbakrî.
[4] En France, les fonctionnaires musulmans ont droit à un jour de congé à l’occasion du Mawlid, au même titre que les deux Aïd : c’est au journal officiel, mais peu de gens le savent.
[5] Ibn Hishâm.
[6] Le Prophète a dit : “ Portez mon nom, mais ne portez pas ma kunya (Bukhârî). Selon les interprètes du hadîth, cet interdit n’aurait été en vigueur que de son vivant : il fallait éviter qu’un de ses contemporains ne s’appelle comme lui Muhammad Abû-l-Qâsim, source possible de confusion.
[7] Après avoir reçu la révélation, le Prophète s’enveloppait d’un ample manteau pour calmer les frissons qui le parcouraient, d’où cette appellation coranique, ainsi que celle d’al-Mudaththir « celui qui est drapé », titre de la sourate 74.
[8] Al-Bukhârî
[9] Suyûtî, Al-hâwî lil-fatâwî, Le Caire, t. II, p. 41-42.
[10] L’appellation Mahomet, forgée par les Français pour désigner le prophète de l’islam, n’est pas appréciée par les musulmans qui y voient une déformation : le prénom n’adopte donc jamais cette forme francisée.