Poème d’Ibn ‘Arabî

Archiprêtresse sans ornement – Tuhyî idhâ qatalat

Source :  L’Interprète des désirs , traduit et présenté par Maurice Gloton, Albin Michel. p. 51.

Commentaires du poème par Maurice Gloton

Son regard ayant tué,
Elle réanime de sa parole
Comme si Jésus elle était
Quand elle rappelle à la vie.

L’expression son regard ayant tué se réfère à l’extinction dans la contemplation (al-fanâ’ fî al-mu-shâhada).

Elle réanime de sa parole implique la réalisation parfaite de la constitution harmonieuse et équilibrée (taswiya) [de l’être humain] en vue de l’insufflation de l’Esprit.

La comparaison avec Jésus – sur lui la Paix – est possible à l’exclusion d’autres comparaisons, compte tenu des deux versets suivants [qui ne s’appliquent pas à Jésus] : « J’ai (Dieu) insufflé en lui (Adam) de Mon Esprit » (Coran 38/72), « Certes, la Parole que Nous adressons à une chose quand Nous la voulons est celle-ci : “Existe !” de sorte qu’elle vient à l’existence » (Coran 16/40), et cela pour deux raisons :

– la première, par convenance (adab), car nous ne pouvons nous permettre d’exercer l’analogie avec la divine Présence (ḥaḍra ilâhiyya, ou l’Être divin) que si nous n’avons pas trouvé dans le monde généré quelqu’un avec qui la comparaison puisse être faite selon un aspect qui s’y rapporte ;

– la seconde, car Jésus était exempt de passion naturelle [habituelle, puisqu’il était Esprit par son père]. Sous le rapport de l’analogie ou ressemblance assumée (tamthîl), il se manifesta sous la forme d’un être d’apparence humaine (fî çûrat al-bashar) [puisque sa mère appartenait à l’espèce humaine]. [Chez Jésus], cet aspect spirituel l’emportait sur le naturel, au contraire de celui qui vient au monde selon l’économie naturelle habituelle. C’est parce que celui qui avait assumé une forme apparentée [à l’homme] était Esprit, en raison de son origine, que Jésus avait le pouvoir de vivifier les morts. N’as-tu pas remarqué que as-Samîrî [selon l’épisode coranique, sourate 20/85 à 95], sachant que l’Ange Gabriel est source de vie là où il foule le sol, prit une poignée de terre sur laquelle il était passé et la lança sur le veau qui se mit à mugir et à s’animer ?

Source : L’Interprète des désirs traduit et présenté par Maurice Gloton, Albin Michel. p. 51.

Vous retrouverez ci-dessous le poème chanté par l’Ensemble Ibn Arabi, puis du texte du poème en arabe et de sa traduction française par Maurice Gloton.

Traduction du poème en français :
« Archiprêtresse sans ornement » par Maurice Gloton

***
Le jour de la séparation,
Lors du départ, ils ne sellèrent
Les robustes chameaux, couleur fauve,
Qu’une fois les paons posés sur eux.
***
Paons souverains
Aux œillades assassines.
Tu les imaginerais être Bilqîs
Siégeant sur un trône de perles.
***
Lorsqu’elle marche sur le sol
Diaphane et cristallin,
Tu vois un soleil sur la céleste voûte
Dans le sein même d’Idris.
***
Son regard ayant tué,
Elle réanime de sa parole
Comme si Jésus elle était
Quand elle rappelle à la vie.
***
Sa Thora, telle une lumière,
Est la face brillante de ses jambes
Thora que je lis et que j’étudie
Comme si j’étais Moïse.
***
Prêtresse sans ornement,
Parmi les filles des Grecs,
Sur elle tu contemples
Les lumières du pur bien.
***
Sauvage est-elle ; aussi près d’elle
On ne saurait trouver l’intimité.
Dans le tabernacle de sa réclusion,
En mémorial, elle choisit un hypogée.
***
Elle laisse démuni
Le savant de notre Loi,
Le disciple de David,
Le rabbin et le prêtre.
***
Si d’un signe de tête,
Elle demande l’Évangile,
On pense qu’elle appartient
À la prêtrise, au patriarcat, au diaconat.
***
Quand, pour le départ
Elle monta la chamelle,
Je clamai : ô chantre conducteur ! Avec elle
Ne pousse pas ta monture de couleur fauve !
***
En ce jour de partance,
Sur le chemin je disposais
Les armées de ma patience,
Cohorte après cohorte.
***
Quand mon souffle animé
Eut atteint ses degrés,
Je sollicitai de cette grâce, de cette beauté,
De m’accorder soulagement,
***
Et elle d’acquiescer.
Dieu nous préserve de ses méfaits !
Que le Roi victorieux
Éloigne Iblîs le séducteur.
***

Texte du poème d’Ibn ‘Arabî en arabe : 

تُحيي إِذا قَتَلَت لمحيي الدين بن عربي

***

ما رَحَّلوا بانوا البُزَّلَ العيسا
إِلّا وَقَد حَمَلوا فيها الطَواويسا

***

مِن كُلِّ فاتِكَةِ الأَلحاظِ مالِكَةٍ
تَخالُها فَوقَ عَرشِ الدُرِّ بِلقيسا

***

إِذا تَمَشَّت عَلى صَرحِ الزُجاجِ تَرى
شَمساً عَلى فَلَكٍ في حِجرِ إِدريسا

***

تُحيي إِذا قَتَلَت بِاللَحظِ مَنطِقَها
كَأَنَّها عِندَما تُحيي بِهِ عيسى

***

تَوراتُها لَوحُ ساقَيها سَناً وَأَنا
أَتلو وَأَدرُسُها كَأَنَّني موسى

***

أُسقُفَّةٌ مِن بَناتِ الرومِ عاطِلَةٌ
تَرى عَلَيها مِنَ الأَنوارِ ناموسا

***

وَحشِيَّةٌ ما بِها أُنسٌ قَد اِتَّخَذَت
في بَيتِ خَلوتِها لِلذِّكرِ ناووسا

***

قَد أَعجَزَت كُلَّ عَلّامٍ بِمِلَّتِنا
وَداوُدِيّاً وَحِبراً ثُمَّ قِسّيسا

***

إِن أَومَأَت تَطلُبُ الإِنجيلَ تَحسَبُها
أَقِسَّةً أَو بَطاريقاً شَماميسا

***

نادَيتُ إِذ رَحَّلَت لِلبَنينَ ناقَتَها
يا حادِيَ العيسِ لا تَحدو بِها العيسا

***

عَبَّيتُ أَجيادَ صَبري يَومَ بَينِهِمُ
عَلى الطَريقِ كَراديساً كَراديسا

***

سَأَلتُ إِذ بَلَغَت نَفسي تَراقِيَها
ذاكَ الجَمالَ وَذاكَ اللُطفَ تَنفيسا

***

فَأَسلَمَت وَوَقانا اللَهُ شِرَّتَها
وَزَحزَحَ المَلِكُ المَنصورُ إِبليسا

***

Extrait de « Turjumân al-Ashwâq »- L’Interprète des désirs , traduit et présenté par Maurice Gloton Vous pouvez retrouver cet ouvrage sur le site Albin Michel ici.