La poésie soufie est avant tout l’expression d’un vécu spirituel. Dans Sayf al-Nûr, le témoignage de Rajâa Benamour sur son expérience de mort imminente devient par moments prose poétique. Quand la réalité métaphysique s’empare des mots, elle les ordonne avec une limpidité saisissante. Conscience Soufie a relevé dans le livre de l’auteure, avec son accord, quelques passages lumineux qui retracent – en pointillés – sa traversée hors de nos frontières.
Je vois l’intérieur de mon corps. De petites lumières étincelantes surgissent spontanément, une à une. Telles de minuscules ampoules, elles s’allument successivement dans chacune de mes cellules. Ces singulières lucioles se multiplient à un rythme exponentiel : elles sont des milliers, puis des millions. La luminosité qui s’en dégage s’intensifie avec leur nombre, comme lorsqu’on éclaire une pièce à l’aide d’un interrupteur muni d’un variateur. Je suis soudainement plongée dans une lumière blanche. Plus précisément, mon corps tout entier est empli d’une lumière blanche. D’un blanc mat de ciel nuageux, la lumière augmente progressivement jusqu’à atteindre un blanc aussi net et éblouissant que la neige au soleil, mais sans être aveuglante.
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Quelle est cette beauté que j’ai perçue ? Elle est une cape dans laquelle je me blottis, protégée et intouchable. Elle est aussi un phare. J’ai cherché partout sa lumière absolue, puisque je l’attendais avant même de savoir qui elle était. Plus je l’aime et plus je la sens se rapprocher. Je ne l’ai pas trouvée, c’est elle qui m’a trouvée. Elle se dévoile à moi et, du fond de mon ignorance, je la reconnais sans le moindre doute, car elle est mon berger. Sa présence m’est aussi évidente que le fait d’être dans ma propre chair. Elle est le corps du point que je suis. Rien n’est plus gracieux et délectable que d’être absorbée par son champ sacré, fondue en lui.
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Je me trouve alors au bord d’une falaise haute de milliers de kilomètres et je me jette dans le vide avec une confiance absolue et la certitude inébranlable, quasi prophétique, que je me trouve entre Ses mains et que celles-ci sont prêtes à me recevoir. Je ne suis plus dans le don de moi-même à moi-même. Je Lui fais don de moi-même, à Lui le Seul (al-Wāhid), l’Unique (al-Ahad), le Vrai (al-Haqq). […] Dans cette chute phénoménale, je ne me sens pas tomber, tout au contraire : je suis aussitôt entraînée par une force ascensionnelle ; même mon corps me paraît vivement attiré vers des hauteurs vertigineuses. Une inversion foudroyante. La chute de l’ascension.
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Une légère pression s’exerce sur mes tempes, comme l’imposition de mains bienfaitrices d’une tendresse infinie qui vient achever mon sacrement. Sur le seuil de l’ultime limite que je suis autorisée à dépasser, comme à une mariée, Il me retire mon dernier voile.
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Mon âme parvenue à sa vérité, mon corps se rompra devant elle, car l’univers tout entier sera désormais absorbé en elle. Le son de la sourate « Ya. Sin » retentit, annonçant le grand pèlerinage vers l’Orient ! Je me sépare de mon habit corporel dans une dernière expiration, non pas dans la nudité, mais vêtue de ma plus belle parure, dont l’ornement s’est parachevé par le fait même que j’écoute lire le Coran.
Rajâa Benamour, conférencière et chercheuse dans le domaine du soufisme, est marocaine et vit à Casablanca. En novembre 2009, elle vécut une expérience de mort imminente en bloc opératoire sous anesthésie générale. Cette expérience fut le catalyseur d’une expérience spirituelle remarquable au cours de laquelle elle reçut une initiation fulgurante par la science ésotérique des lettres arabes.